Rappel à l’ordre aux fonctionnaires d’autorité


Pour la première fois en 1921, Madagascar vit l’ambiance électorale (lire précédentes notes). Durant la campagne électorale, la défense d’un candidat s’assortit, évidemment, d’attaques contre le rival qui paraissent soit dans la presse, soit de préférence dans les tracts. Aussi, lit-on que Sescau « est un financier. C’est l’homme des grosses compagnies et de la haute finance ». On insinue ainsi que toutes ses interventions se feront en leur faveur. « Votez donc tous pour Beaurin ; il nous défendra tous sans parti pris, sans idées préconçues, étant un démocrate ; ne vous laissez pas influencer par les dires de certains journaux locaux ou de la Métropole, organes des grosses compagnies et ennemis personnels de Beaurin. » Inversement, les partisans de Sescau s’en prennent à Beaurin. « Vous pensez bien que les électeurs de la Grande île ne préfèreront pas ce capitaine de football et music-hall au vieux colon qu’est Sescau, administrateur de la Compagnie de l’océan Indien. » Selon le magistrat Gontard, on recherche dans le passé de Beaurin et l’on remarque que le candidat, tout jeune et athlétique qu’il soit, est durant la guerre resté en sécurité dans les bureaux du Matin, pendant que les deux rédacteurs en chef du journal, Stéphane Lauzanne et de Jouvenel, vont accomplir leur devoir aux armées. Les partisans de Beaurin répliquent en accusant Sescau, administrateur du Syndicat lyonnais de Madagascar, d’être responsable du « bluff des mines d’or » de 1905. Les partisans de Sescau le défendent : « Tous les anciens colons et fonctionnaires savent que la haute administration de 1905 est seule responsable du soi-disant bluff. » D’après Gontard, « la compétition, en s’affirmant, prenait de plus en plus l’aspect d’une lutte entre les intérêts économiques et l’Administration ». Certains administrateurs influents prennent nettement position en faveur de Beaurin et de Boussenot. Le directeur adjoint du cabinet du gouverneur général, Mattei qui est d’origine corse, rassemblant ses compatriotes dans les bureaux mêmes du gouvernement général, leur fait remettre des tracts soutenant les deux candidatures de son choix. L’administrateur Vally, directeur des finances, vice-président de l’association des Réunionnais, la convoque dans son hôtel à Antananarivo. L’association décide de payer les frais d’impression et de fourniture des tracts et circulaires de Beaurin et de Boussenot. « Ces interventions de hauts personnages consulaires furent vivement critiqués par la presse d’opposition. » Le gouverneur général Hubert Garbit décide de rappeler à ses collaborateurs « quelle devait être l’attitude de l’administration dans une compétition électorale ». Dans un télégramme adressé à toutes les circonscriptions à la fin du mois d’avril, il indique qu’il y a « nécessité que toutes opérations se passent avec la plus parfaite, la plus entière correction ». Les fonctionnaires « doivent exercer leur droit en toute liberté, sans aucune pression de quelque nature qu’elle soit… En particulier, les supérieurs hiérarchiques doivent éviter avec le plus grand soin, d’user dans une mesure quelconque de leur autorité morale pour influencer leurs subordonnés dans leur libre choix ». L’approbation générale accueille ces recommandations, mais la presse qui défend Bleusez et Sescau trouve le télégramme « bien tardif et partant, sans valeur ». Hubert Garbit « a été certainement » informé du « zèle intempestif» de certains membres influents de son état-major. « A-t-il pu ignorer la réunion qui eut lieu dans le bureau de son sous-chef de cabinet ? Notre sympathique directeur des Finances est-il parti en campagne électorale jusqu’à Fianarantsoa sans autorisation ? » (Indépendant, 30 avril 1921). Certains se demandent même si le gouverneur général n’envoie pas le télégramme uniquement « pour se couvrir » contre des protestations éventuelles.Quelques jours avant l’élection, le journaliste Maurice Boursaud donne, dans « Action coloniale », ses pronostics pour Madagascar : seraient élus, Sescau dans la circonscription Est et Boussenot à l’Ouest.
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