Le véritable danger ne vient pas d’ailleurs


«Dix mois après l’arrestation de l’ancien leader du parti (André Resampa) beaucoup ont aujourd’hui des doutes sur les accusations lancées alors contre lui : complot ourdi avec l’aide de l’ambassade américaine… Et s’il ne s’agissait que d’un règlement de compte au sein même du PSD ? » C’est ce qu’André Ravatomanga écrit dans Lumière (2 avril 1972) à propos des relations du gouvernement du président Tsiranana avec les États-Unis (Alain Escaro, La politique extérieure du gouvernement Ramanantsoa vue par Lumière). Déjà, dans son numéro du 19 mars, après le rapport du département d’État américain, si l’hebdomadaire catholique ne cherche pas à trancher sur les relations « tendues » entre les deux pays, il constate toutefois, que « le silence persistant du gouvernement est gênant pour tous, et plus encore pour le bon renom du gouvernement lui-même aux yeux de l’étranger ». Alain Escaro signale aussi les rapports avec deux autres pays américains, le Chili et le Canada. En revanche « Lumière » constate les rapports beaucoup plus importants de Madagascar avec l’Afrique du Sud. L’époque est celle du « dialogue » dont traite un article de Pierre Nassara dans l’hebdomadaire catholique du 16 janvier. Après avoir rappelé « la haine des Africains pour l’Apartheid », l’auteur constate qu’un certain nombre de pays africains, dont Madagascar, abandonnent la politique d’embargo à l’égard de l’Union sud-africaine au profit du dialogue avec Pretoria, « au nom d’un intérêt économique bien compris d’une façon réaliste et de l’impuissance militaire ». Mais remarque Pierre Nassara, pour le moment on n’obtient encore rien dans ce sens. Il avance ensuite les arguments des adversaires du dialogue : « Ce n’est qu’un succès diplomatique pour Pretoria ; il vaut mieux miner le système de l’intérieur en aidant les mouvements subversifs et en maintenant la pression extérieure. » L’auteur laisse « le débat ouvert ». Un autre article de Lumière approfondit « les relations commerciales de Madagascar avec l’Afrique du Sud» (2 avril). Alain Escaro résume le texte bien documenté : « L’Afrique du Sud est le premier client africain de Madagascar, mais l’apport de l’Afrique du Sud est encore bien loin des rêves que beaucoup caressent de recevoir des produits finis de notre grand voisin.» Quant à André Ravatomanga, il constate que « la politique africaine de Tsiranana, active et positive aux yeux du Président, vis-à-vis de l’Afrique du Sud, sombre dans l’immobilisme à l’égard du reste de l’Afrique ». Autres relations fructueuses signalées par l’hebdomadaire catholique, celles entre la grande ile et le Japon. Elles sont surtout importantes sur le plan économique. Ainsi, des firmes japonaises, à travers leurs missions à Madagascar et à l’occasion de discussions avec des délégations malgaches, s’intéressent à la mise en valeur et à l’exploitation de nombreuses ressources (bois, électrification hydraulique…). Un accord commercial est aussi conclu avec la Corée du Sud (achat de vanille, girofle, café et construction d’écoles). « Toutes autres sont les perspectives vis-à-vis de la Chine communiste », souligne Alain Escaro. Kurt Hausser écrit dans Lumière du 2 janvier, un article sur l’implantation chinoise en Afrique et signale que pour « le président Tsiranana, la Chine de Pékin est devenue une obsession » Il reconnait que les Chinois entrainent les Tanzaniens (« pour entretenir le désordre dans les États africains hostiles à la présence chinoise, comme par exemple Madagascar », croit le Président), que l’influence chinoise a toujours été importante à Madagascar, que, déjà en 1956, le PNDOI se dit «maoïste », mais « tiraillé par l’inquiétude, le président de la République agite comme un épouvantail le danger chinois ». Le même thème est amplifié par l’éditorial du 5 mars, « La Chine et nous », où l’hebdomadaire catholique constate que la Grande ile, « faible et petit pays, a peur du géant asiatique et qu’il cherche à s’en préserver en fermant ses frontières à toute influence chinoise ». Toutefois, pour le journal, cela n’est pas très réaliste car « cela ne pousse qu’à faire rêver certains jeunes malgaches au fruit défendu et ne peut pas convaincre la population du bienfondé de cette politique. Il faudrait s’ouvrir à la Chine de Mao pour mieux s’immuniser contre le maoïsme. Mais la meilleure prévention serait d’introduire, dans la politique, le ferment révolutionnaire qui préserve ces jeunes d’une autre révolution importée de l’extérieur, d’affermir un régime pleinement démocratique… car si l’on peut craindre pour Madagascar aujourd’hui, point n’est besoin de chercher les causes hors de chez nous: le véritable danger ne vient pas de Pékin. » Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
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