Bemiray - 9 novembre 1989 - Et le mur s’écroula…


[caption id="attachment_71714" align="alignleft" width="300"] La grande ruée vers l’Ouest, mais en Allemagne, et non en Amérique.[/caption] Dans cette livraison, Tom Andriamanoro revient sur un pan de l’histoire européenne en général, allemande en particulier: les causes qui ont amené à l’érection du Mur de Berlin, et les raisons de sa destruction. Et il continue sa chronique par la participation plus qu’active des anciennes colonies françaises, d’Afrique surtout, qui ont donné leurs hommes pour défendre la Mère-Patrie. À l’Est, on l’appelait « le Mur de protection antifasciste », et à l’Ouest « le Mur de la honte». Sa destruction a été immortalisée dans le livre sans fin de l’Histoire, par l’image du violoniste virtuose Mstilav Rostropovitch, de passage à Berlin, venu encourager les démolisseurs qu’on appelait les « Mauerspechte » en jouant publiquement pour eux. Ce mur, dont la construction a débuté dans la nuit du 1er aout 1961, a pendant vingt-huit ans symbolisé la Guerre Froide en divisant Berlin en deux parties que les constructeurs voulaient hermétiques. Comment les antagonismes idéologiques en sont-ils arrivés à cette extrémité ? Après sa capitulation le 8 mai 1945, l’Allemagne et sa capitale furent divisés en zones d’occupation sous administration soviétique, américaine, britannique, et française. Concernant Berlin, le secteur sous contrôle soviétique représentait plus de 45% de la superficie totale de la ville. La première crise majeure entre l’Union soviétique et les Occidentaux eut lieu en 1948, quand Staline instaura un blocus de Berlin-Ouest. Les États-Unis répliquèrent par un gigantesque pont aérien de ravitaillement. D’autres frictions suivirent, comme en 1958 quand l’Union soviétique exigea, sans succès, le départ des troupes alliées soi-disant pour faire de Berlin une ville « libre et démilitarisée». En vérité, et depuis sa création, l’Allemagne de l’Est ou République démocratique allemande subissait un flot continu d’émigration vers la République fédérale, et principalement via Berlin où la frontière urbaine était moins étanche qu’en campagne. De 1949 à 1961, ils étaient quelque trois millions d’Allemands de l’Est à avoir fui en passant par Berlin, privant la RDA d’une précieuse main d’œuvre qualifiée. Le passage était d’autant plus facilité qu’une importante population frontalière travaillait à l’Ouest et rentrait le soir à Berlin-Est où les loyers étaient plus avantageux. C’est ainsi que l’idée de construire un mur de séparation s’est concrétisée, malgré les allégations de Walter Ulbricht, président du Conseil d’État est-allemand, comme quoi « nos maçons sont occupés à construire des logements. Personne ici n’a l’intention de construire un mur! .» [caption id="attachment_71715" align="alignright" width="300"] C’est le 9 novembre 1989 que débute la démolition du Mur de Berlin[/caption] Au début effectivement, le «Mur» n’était qu’un réseau de barbelés avec, tout le long du tracé, des pavés retournés pour entraver toute circulation. Puis, le relais fut pris par le béton et la brique, faisant dire au maire de Berlin-Ouest Willy Brand, que « nous accusons de crimes contre l’Humanité les séparateurs qui oppressent Berlin-Est et menacent Berlin-Ouest ». Les Alliés mirent un certain temps avant de réaliser la gravité de la situation. Pour le Premier ministre britannique Mac Millan, « le Mur n’a rien d’illégal puisqu’il ne remet pas en question l’équilibre géopolitique de l’Allemagne». Même Kennedy estimait que la construction du Mur était certes « une solution peu élégante, mais mille fois préférable à une guerre ». L’encerclement de Berlin-Ouest était renforcé par la suppression de soixante-neuf points de passage. À la fin de 1961, ils n’étaient plus que sept entre l’Est et l’Ouest, et le centre de Berlin devenait un no man’s land avec, d’un côté le Mur, et de l’autre un terrain vague. Se ressaisissant, Kennedy prononçait son célèbre discours « Ich bin ein Berliner », « Je suis un Berlinois». Le métro reliant les secteurs occidentaux passait désormais sous Berlin-Est sans s’arrêter, les stations y ayant été scellées. Berlin-Ouest devenait la vitrine de l’Occident avec une vie trépidante contrastant avec l’austérité de l’Est. Une plateforme plus haute que le Mur permettait de voir « de l’autre côté » et ne désemplissait jamais. À l’occasion des cérémonies commémorant les sept cent cinquante ans de la ville, Ronald Reagan eut ce mot passé à la postérité: « Tear down this wall ! », « Détruisez ce mur! » En 1989, la situation politique du bloc de l’Est amorce un grand changement. Les Soviétiques annoncent leur retrait sans victoire du bourbier afghan. La Hongrie entrouvre sa partie du rideau de fer, devenant une nouvelle filière pour les Allemands de l’Est, candidats à la fuite. Mazowski, du syndicat Solidarnosc, devient Premier ministre de Pologne. On parle d’un vent nouveau de liberté et en RDA, même la contestation prend de l’ampleur, catalysée par les Églises. Gorbatchev dissuade les dirigeants est-allemands de recourir à la force. Un million de manifestants défilent à Berlin-Est, des centaines de milliers dans les autres grandes villes. Le pouvoir communiste craque. À l’issue du Conseil des ministres, Gunter Schabowski, secrétaire du Comité central chargé des médias et membre du Bureau politique du parti SED, lit une déclaration: « Les voyages privés vers l’étranger sont autorisés sans présentation de justificatif. Les autorisations sont délivrées sans retard. Les voyages, y compris à durée permanente, peuvent se faire à tout poste frontière avec la RFA ». À la question d’un journaliste « Quand cela entrera-t-il en vigueur ? », il répond à la surprise générale: « Autant que je sache, immédiatement.» Sous la pression de la foule, les gardes frontières ouvrent eux-mêmes des brèches dans le mur pour désengorger les points de passage. Dès l’annonce de la nouvelle, les députés du Bundestag à Bonn suspendent leur séance, se lèvent et entonnent l’hymne national. Mais la grande ruée vers l’Ouest n’a lieu que le lendemain. D’immenses colonnes de ressortissants est-allemands et de voitures Traban se dirigent vers Berlin-Ouest dans un indescriptible concert de chants et de klaxon. De parfaits inconnus tombent dans les bras les uns des autres. Une impressionnante marée humaine sonne le glas de la Guerre Froide. Le 9 novembre est proposé pour être la Fête nationale allemande. Malheureusement, cette date est aussi celle d’autres évènements moins glorieux comme le putsch d’Hitler à Munich ou le pogrom antijuif commis par les nazis. On lui préfèrera finalement le 3 octobre. [caption id="attachment_71716" align="alignleft" width="300"] Une rue très passante de Lourdes, qui allie foi et tourisme.[/caption] Rétro pêle-mêle Lourdes célèbre en cette année 2008 le 150e anniversaire des premières apparitions de la Vierge, et se prépare à un afflux exceptionnel de touristes. L’hôtellerie de cette petite ville d’à peine quinze mille habitants dispose, avec sa périphérie, de trente mille lits soit plus que toute l’Ile-de-France. Car derrière la foi et les miracles, le tourisme dans la plus industrielle de ses acceptions n’est jamais bien loin et est même une activité de pointe. D’après les statistiques parues cette année-là, un pèlerin qui y passe quatre nuitées dépense en moyenne 600 euros d’hébergement et de restauration. Le visiteur d’un jour qui vient en voiture, dépense une centaine d’euros pour son repas et ses achats de souvenirs. Car l’une des images fortes de Lourdes pour l’arrivant est cette « inondation » de rues entières par le commerce religieux. Et si l’accès au sanctuaire est gratuit, cela ne veut pas dire qu’il ne génère pas de recettes, loin s’en faut. Les offrandes pourraient cette année passer de 12,5 millions à 16,5 millions d’euros, les honoraires de messe de 3 à 4 millions, les ventes de médailles et de littérature religieuse de 4 à 5 millions. Mais peu importe cette surchauffe, Marie et Bernadette reconnaîtront toujours les leurs. [caption id="attachment_71717" align="alignleft" width="201"] Ce Monument dédié aux Tirailleurs sénégalais, dont lesquels sont inclus les Tirailleurs du 12e Bataillon malgache, sera inauguré ce jour à Reims.[/caption] Devoir de mémoire - Un hommage (tardif) à l’armée noire Novembre est indissociable d’un grand moment de l’Histoire: la signature de l’Armistice de 1918, mettant fin à la « Grande Guerre ». La commémoration a, cette année, passé le cap du centenaire et on revivra son rite immuable qu’est le dépôt d’une gerbe au Monument du Lac Anosy où résonnera la Sonnerie aux Morts. Et comme d’habitude, personne n’aura un regard sur une stèle qui mériterait un meilleur sort: celle érigée par Ambohimanarina en l’honneur de ses fils morts en France lors des deux Guerres pour une cause qui n’était même pas la leur. En France justement, il a été décidé de mettre un peu moins l’accent sur les grands chefs militaires, et un peu plus sur les simples soldats, les « Durand et Mamadou », fraternellement unis dans la boue des tranchées avant, pour beaucoup d’entre eux, de servir anonymement de chair aux canons ennemis. Il était temps que cette injustice soit réparée… Cette semaine donc, un chapitre important de l’actualité africaine a exceptionnellement déménagé à Reims en Champagne, où les présidents français, Emmanuel Macron, et malien, Ibrahim Boubacar Keita, ont conjointement inauguré un monument dédié aux combattants africains tombés au champ d’honneur de la première Guerre mondiale. Il s’agissait pour être plus précis d’une fidèle réplique de l’œuvre originale réalisée dans les années 20, mais détruite durant la deuxième Guerre par les armées d’Hitler. L’idéologie nazie ne pouvait, en effet, pas concevoir que la grande Allemagne ait été battue par une race inférieure, celle des tirailleurs africains issus de plusieurs colonies, mais bizarrement regroupés sous le terme générique de « Tirailleurs sénégalais ». Peut-être parce que le corps même des tirailleurs a été créé en 1857 sous Napoléon III par Louis Faidherbe, alors gouverneur du Sénégal, et dont une avenue de Dakar porte le nom. Lors de la Guerre de 1914-1918, les tirailleurs avaient fourni soixante trois mille hommes et compté plus de 30 000 morts dans leurs rangs. Ils étaient par contre plus de cent mille recrutés lors de la Guerre de 1939-1945, et constituaient le gros des forces qui ont débarqué en Provence. Une anecdote illustre à merveille la… gratitude de la « Mère-Patrie » à l’égard de ses enfants venus de loin pour offrir leur sang. On est le 1er décembre 1944 au camp militaire Thiaroye de Dakar. Des tirailleurs fraichement rentrés du front réclament leur reliquat de solde et un équipement décent. Énervés devant ce qui n’est qu’une banale revendication, les militaires français tirent dans le tas, faisant officiellement trente cinq morts. Le chiffre est contesté par les historiens car il y en aurait eu plus d’une centaine. Le colonisateur craignait indirectement que ces soldats, revenus d’Europe avec de nouvelles idées et de nouvelles expériences, ne deviennent les meneurs tout indiqués d’une contestation de plus grande ampleur. Aujourd’hui encore Thiaroye est commémoré au Sénégal comme ayant été une étape de la longue route vers l’indépendance. Mais le plus étonnant est que, malgré l’hécatombe subie sur les champs de bataille européens et la boucherie du Camp Thiaroye, les tirailleurs sénégalais continuèrent à être les fidèles serviteurs de la France pour réprimer de la manière la plus brutale les mouvements d’émancipation de peuples opprimés comme le leur. Ce fut le cas à Madagascar, au Cameroun, en Algérie. Peut-être trouvera-t-on là la meilleure illustration qui soit de l’expression bien connue du « Senegaly mahazo baiko ». [caption id="attachment_71718" align="alignleft" width="300"] Le Mont Andramaimbo à Antsiranana devient Windsor Castel en 1827.[/caption] SITE - Le Windsor Castle de Diego-Suarez En 1827, sous le règne de Georges IV, les Anglais pénètrent dans la Baie d’Antomboka (Diego-Suarez) sous la conduite du capitaine Owen. À quelques encablures de là, un massif calcaire sera la seule trace historique de leur passage. Le mont Andramaimbo deviendra Windsor Castle qui ne sortira véritablement de l’anonymat qu’un siècle plus tard. Au début du XXe siècle, les premiers travaux de fortification de la base navale démarrent sous l’impulsion du Maréchal Joffre. Les légionnaires du capitaine De Metz vont réaliser un travail de génie en utilisant toutes les anfractuosités de Windsor Castle. Plus d’une centaine de marches sont ainsi taillées dans la roche. Ils construisent sur une première terrasse un bâtiment d’habitation avec un système de récupération de l’eau de pluie. Sur le replat sommital, ils érigent une tour de 5 mètres sur 5 et haute de 6 mètres, destinée à être le Centre optique de Windsor Castle. Le rôle de ce Centre est de prévenir le commandement de Diego-Suarez de toute intrusion depuis la Côte Ouest. Une garnison et une série de batteries de canons de 105 sont installées en contrebas. En 1943, durant les combats entre les troupes françaises vichystes et les Anglais, ce Centre optique fut le théâtre d’affrontements sanglants. Le site a aujourd’hui tous les atouts, naturels et historiques, pour être une étape incontournable du tourisme antsiranais. Un nid d’aigle bénéficiant de surcroit d’une vue exceptionnelle à 360°. Lettres sans frontières Une épouvantable misère Une épouvantable misère succéda aux cyclones. Ceux de ma génération s’en souviennent encore. Toute l’île baignait dans la faim. Que de longs regards sur les chemins! Des couteaux! Et qui vous suivaient, qui pointaient vers vos omoplates ou venaient au-devant de vous à hauteur d’estomac… tous ces gens, tous ces estomacs qui vous haïssaient d’avoir mangé. Je revois les cortèges de chômeurs allant de porte en porte, ne sachant même plus mendier, à la fois menaçants et pleureurs; celui-là notamment où les hommes portaient en guise de bannière, le sari jaune d’or d’une Malabaraise attaché à une gaule de bambou. Ils criaient que ses jumeaux étaient morts de privation et que Dieu les multiplierait par cent mille dans la vengeance. Comme chacun j’appréhendais l’émeute, tout en me prouvant que ces malheureux étaient trop faibles pour tenter quoique ce fût. De temps à autre, la femme elle-même prenait la tête de la procession, demi-nue, ses seins flasques lui pendant presque sur le ventre, hurlant et invectivant, par moments se roulant dans la poussière… hystérique… jusqu’à ce que les policiers la ramènent à la raison à coups de gourdins et de ceinturons, bien plus pour l’obscénité de son attitude que pour le reste. Alors elle avait de rauques plaintes, un peu comme les appels d’un oiseau de mer à l’époque de la parade. Les cannes à sucre de la future récolte avaient été aux trois-quarts détruites. Le riz, la farine, et les lentilles et autres grains secs manquaient. Plus d’importation, de l’Inde ou d’ailleurs. Le port était quasi impraticable, un cargo ayant coulé juste dans le chenal, et le continuel gros temps retardait le navire-grue envoyé d’Afrique du Sud. Dénuement total, vorace. Le gouvernement avait réquisitionné les stocks de manioc des usines à tapioca en vue de leur distribution gratuite aux sinistrés, en place de riz et de pain. Mais ce manioc était généralement pourri, les toitures des greniers ayant beaucoup souffert, et puis comment satisfaire tout le monde? C’était vrai que les enfants de la femme au sari étaient morts d’inanition, et c’était vrai qu’on comptait d’autres morts semblables.
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