Une mentalité tribaliste indéniable


Aux lendemains des évènements de 1947 et de la violente répression des insurgés par l’administration coloniale, l’organe de presse du Parti des déshérités de Mada­gascar ou Padesm, Voromahery, et les représentants des colons français s’attaquent aux adhérents du Mouvement démocratique de la rénovation malgache. Et surtout aux Merina. À la lecture des articles de Voromahery, Lucile Rabearimanana constate que le Padesm est bâti sur des bases ethniques claires. « Ce qui suscite les vives réactions hostiles de bon nombre de journaux tananariviens, d’autant qu’il ne cesse de proclamer son indéfectible attachement à la Mère-Patrie » (lire précédentes Notes). Le journal, qui défend les intérêts des côtiers et des « Mainty enin-dreny », assimile la direction du MDRM avec l’ensemble des adhérents, car il veut accréditer l’idée que les dirigeants du parti sont tous des Merina. Aussi, les passions se déchainent-elles, poursuit l’historienne, contre « les Hova responsables des évènements actuels (qui) ont la présomptueuse idée de reprendre des mains de la France, le gouvernement de notre pays. Leurs ancêtres à qui ils ne peuvent que ressembler n’avaient su trouver pour les nôtres qu’oppression et servitude. » L’organe des nationalistes modérés merina, Ny Fandrosoam-baovao de Gabriel Razafintsalama, bien qu’affirmant rester au-dessus de ces considérations tribales, reproche au Voromahery son attitude. Toutefois, précise Lucile Rabearimanana, vis-à-vis de ceux qu’il appelle «peuplades rebelles, Bezanozano, Tanala, Antemoro et Antandroy » (à part ce dernier, ces populations habitent l’Est, c’est-à-dire la zone insurgée), ce porte-parole des hommes d’affaires et des intellectuels merina n’est guère tendre. Il se montre même plein de mépris dans ses mots. « Son dédain sans bornes à l’égard des autres Malgaches dénote une mentalité tribaliste indéniable et un complexe de supériorité que les circonstances historiques ne peuvent que condamner. » Propos déplacés qui « illustrent la mentalité de ce milieu aisé de Tananarive, de ses fonctionnaires et commerçants ou planteurs merina répandus dans tout le pays ». C’est pourquoi Ny Fandro­soam-baovao tient à démontrer que les insurgés sont des populations résidant dans les régions côtières, celle d’Antananarivo n’est le théâtre d’aucun foyer de soulèvement. De ce fait, pour la publication merina, ni le MDRM ni le Padesm ne recrute ses membres sur des « bases tribales ». Et tentant d’expliquer la situation privilégiée parmi tous les Malgaches par « une politique consciente et constante de la colonisation française ». Rappelant que les Merina sont les auxiliaires de celle-ci, le journal se fait le défenseur du protestantisme également attaqué par les colons français et le Padesm. « L’esprit soufflant un peu partout identifie Hova et protestants avec révolte et complots… Ni la race hova ni la religion protestante ne constitue nullement un terrain prédestiné au meurtre et au pillage » (livraison du 30 mai 1947). Pour rappel, les milieux protestants malgaches ont toujours été, depuis la conquête coloniale, craints par la colonisation. « Influencés par les missions anglaises, ils étaient soupçonnés d’être opposés aux Français. D’éminents pasteurs d’Antananarivo comme Rabary et Ravelojaona ont été inquiétés voire arrêtés en 1915, lors de l’affaire Vy-Vato-Sakelika, VVS. D’ailleurs, il est incontestable que ces milieux jouent un rôle non négligeable quoique non spectaculaire dans le mouvement nationaliste malgache. » En fait, la disparition de toute vie réelle et surtout la sévérité de la répression de l’insurrection modèrent les prises de position de Ny Fandroasoam-baovao. Lucile Rabearimanana renchérit : « Parfois même par souci de ne pas froisser les autorités, il n’émet aucune opinion, en tout cas il se garde bien de toute critique vis-à-vis du régime colonial. » Mais il ne faut pourtant pas s’empêcher de répondre « aux attaques des adversaires» et finalement n’arrive pas à cacher le « caractère tribaliste et conservateur du milieu dont il est issu ». Et surtout, modifiant sa position en fonction de la nouvelle conjoncture politique, il se montre de nouveau favorable à l’Union française. Voici ce qu’il écrit dans sa livraison du 2 mai 1947 : « Il est faux de dire que les Malgaches se défient de la France, qu’ils veulent se séparer d’elle. Leur manière de juger est au contraire des plus logiques : ils se prononcent en fait pour leur encadrement dans l’Union française, mais en incluant les garanties que comporte sa qualité d’ancien État autonome. » Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
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