Faussaires et fossoyeurs de la République


L’art de la titraille constitue une rubrique spéciale de la formation éditoriale. Et j’avais donc beaucoup hésité à intituler ma dernière Chronique appelant à une sanction sociale exemplaire, voire inédite, contre les auteurs du «foutage de gueule XXL» (cf. Chronique VANF, 6 octobre 2018) concernant le vrai faux permis de conduire biométrique. «Ministère du Faux et Usage de Faux», «Faux en Authentique au Mininter», «Faussaires et fossoyeurs de la République»... «Le faux ou usage de faux commis dans une écriture publique ou authentique par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission» est bien entendu interdit et punissable (article 441-4 CP). Attention, le demandeur, qui échoue dans son action à démontrer cette falsification, sera condamné à une amende civile pour avoir mis en cause de manière téméraire le crédit de l’autorité publique. Mais bon, après ce foutage de gueule XXL, que peut-il rester du crédit de l’autorité publique malgache ? Par curiosité, je me suis informé sur l’ANTS, agence nationale des titres sécurisés, créée en France en 2007. Relèvent de sa compétence : la carte d’identité électronique, le passeport électronique, le passeport biométrique, le titre de séjour électronique, le visa biométrique, le certificat d’immatriculation des véhicules ou carte grise. Mais aussi, la carte professionnelle des agents de l’État et le permis de conduire. Le décret de sa création imposait à cette agence de : «assurer le développement, la maintenance et l’évolution des systèmes, des équipements et des réseaux informatiques permettant la gestion des titres sécurisés ; assurer la mise en oeuvre de services en ligne, de moyens d’identification électroniques et de transmissions de données ; mettre à disposition des administrations les matériels et équipements nécessaires à la gestion et au contrôle de l’authenticité et de la validité des titres sécurisés». À Madagascar, où en est-on de la mise à niveau, du développement et de l’évolution, des systèmes informatiques et électroniques, si on bute sur un Code QR bêtement inaccessible parce que purement et simplement indisponible. Informatique, électronique, données, matériels, équipements, authenticité, titres sécurisés : des mots abscons à l’entendement d’une administration malgache à laquelle on a oublié de donner les moyens de ses missions. Cette Chronique pouvant s’improviser en vraie fausse tribune juridique, j’ai profité des systèmes informatiques français, plus performants que les nôtres, pour piocher à leurs archives : en France donc, l’obligation faite à l’administration d’abroger les règlements illégaux a été érigée en principe général de droit (article 3 du décret du 28 novembre 1983 ; CE, Ass., 3 février 1989, Cie Alitalia ; article 16-1 de la loi DCRA du 12 avril 2000). On apprend, faute de définition d’un acte créateur de droits, qu’on peut en dresser une liste indicative : les nominations, les promotions, les décorations, les attributions (subventions, biens, diplômes, titres, contrats...), les approbations. Et les autorisations de faire (construire, démolir, exploiter) : dont le permis de conduire. Fallait-il alors comprendre cette conférence de presse du directeur général de l’administration du territoire comme une abrogation du permis de conduire en notre possession ? Au moins, l’autre principe général d’égalité est singulièrement respecté dans son injustice intégrale : des millions d’usagers également bafoués. Nul n’est censé ignorer la loi. Mais, «quand le droit bavarde, on ne l’écoute plus». Et trop de lois tuent la loi, dit un vieux adage juridique. Surtout quand le maquis législatif est tellement inextricable que le législateur trouve plus facile de multiplier de vraies fausses nouvelles lois plutôt que de procéder à l’audit des normes anciennes. D’autre part, le concept de «sécurité juridique», pendant de la «confiance légitime», voudrait que les citoyens soient, «sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu» (CE, Rapport Public, 2006) : à titre subsidiaire, chaque passager en partance ou à l’arrivée, dans les aéroports internationaux de Madagascar, savent-ils exactement «sans efforts insurmontables», ce qui est permis et ce qui est défendu à l’exportation et à l’importation ? Finalement, que le permis de conduire soit biométrique, sur carte plastifiée au format de carte bancaire, ou tapée staccato sur notre bon vieux carton rose à trois volets : aucun code QR ne sanctionne le QI, que ce soit celui des chauffards du Code de la route ou celui des faussaires de la République.
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