Les différenciations de la société rurale merina


«Si un homme a l’air capable d’exploiter une rizière, on la lui fera exploiter…, de peur qu’il n’ait pas les moyens de s’employer à mon service. Si une femme restée veuve peut en exploiter une, elle aussi, donnez-en lui une, pour qu’elle puisse me servir. S’il se trouve un enfant orphelin, seul survivant de son père qui peut aussi exploiter une rizière, donnez-en lui une également, car bientôt il sera homme et l’emploiera à mon service. » Mais selon Manassé Esoavelomandroso (À propos des groupes paysans en Imerina, 1794-1810), cette image d’une paysannerie égalitaire est quelque peu faussée par l’existence de certaines catégories de terres (lire précédente Note). Pour consolider son œuvre de réunification de l’Imerina, Andria­nampoinimerina fait procéder au partage des terres surtout des rizières du Betsimitatatra, à l’intérieur de chaque district ou toko, puis à l’intérieur de chaque communauté, et enfin entre les habitants. C’est ainsi, écrit l’historien, que dans l’Imerina enin-toko, les rizières sont divisées en 73 000 parcelles individuelles ou « hetra ». Elles sont attribuées aux hommes valides choisis comme guerriers et sujets libres. Pour le roi, ces lots doivent leur permettre d’assurer leur subsistance et aux esclaves de se racheter. Ils peuvent même y construire leurs tombeaux. Toutefois, à l’intérieur des terres attribuées aux collectivités, « des paysans dans la mesure de leurs forces ou de la main-d’œuvre familiale dont ils disposent, mettent en valeur des coteaux qui font dès lors l’objet d’une appropriation de fait ». Ce sont des « terres mises en valeur ». À côté de celles-ci, il y a les « tany solampangady ray aman-dreny » ou terres défrichées par le père et la mère et dont leurs enfants héritent. Des paysans peuvent aussi acheter des lots dans l’Anativolo, ancien pays des Manendy situé au nord de l’Imerina et qui n’est pas divisé en « hetra ». Ces « terres achetées » peuvent être revendues, tandis que les terres héritées ne peuvent être que « prêtées». Il existe d’autres catégories de terres accordées par Andrianam­poinimerina lui-même à des colons ou à certains hommes, ce qui dénote les différenciations au sein de la société rurale merina. Le roi prélève sur les « tany lava volo » ou terres non défrichées et qui font donc partie du domaine privé de l’État, des lots sur lesquels il installe des colons Ce sont les « tanimboanjo ». Les guerriers qui font preuve de bravoure, en reçoivent en guise de récompense. Comme elles se trouvent à l’extérieur de leur communauté d’origine, ils peuvent les cumuler avec leurs « hetra » et d’autres terrains. Durant la conquête des régions limitrophes, des « lohombintany » sont concédés à des soldats à la place de leur part de butin et d’esclaves. « Retranchés du domaine privé de l’État, ces terres sont cédées aux paysans-guerriers, à charge pour eux de les exploiter et de les défendre contre les incursions des populations non soumises. » Ces « lohambintany » sont surtout distribués aux Hova, mais aussi à des Andriana de catégories inférieures à celle des Andriamasinavalona et qui sont cumulables avec les « hetra » et autres terres. Ils sont exemptés de l’« isampangady » ou impôt par bêche, aliénables et héréditaires. Le souverain distribue aussi à des Andriamasinavalona ou à des Zazamarolahy des seigneuries. Outre les droits afférents à leur charge, les Tompomenakely ou Tompombodivona disposent en propre du « tanin-dapa » ou terre du palais. Enfin, les « tany trafonkenan’ny mahery » sont dédiées à ceux qui sont forts au fusil, forts à la lance, à ceux qui sont habiles à commander une armée, à ceux qui rendent des services au roi, qu’ils soient Andriana ou Hova. Ces terrains comme les « lohambintany » et les « menakely » sont héréditaires. D’après Manassé Esoavelo­mandroso, au cours du XIXe siècle, cette différenciation foncière sera renforcée avec les « paysans sans terre » et les « paysans propriétaires ». Les premiers désignent, d’une part, ceux qui ne disposent pas du tout de terre et, d’autre part, ceux qui en ont mais pas assez pour assurer leur subsistance. Ce sont tous de bons ouvriers agricoles. Il s’agit des esclaves ou de leurs descendants dont la propriété appartient en réalité à leurs maitres, puisque leur personne est la propriété de ces derniers. Il y a aussi les hommes libres qui, pour une raison ou une autre, se dessaisissent de leurs terrains, mais sans être réduits en esclavage. Il y a également certains petits exploitants qui cherchent un complément à leurs propres productions comme ouvriers agricoles à temps complet ou partiel, tandis que les femmes et les enfants cultivent leurs terrains. Enfin, certains paysans qui ont besoin d’argent, pratiquent le « fehivava ». Ils se dessaisissent temporairement de leurs rizières pour devenir des ouvriers agricoles. Ce « fehivava » permet à un riche cultivateur qui leur prête de l’argent, de cultiver leurs rizières jusqu’au remboursement de la dette et les intérêts. Texte : Pela Ravalitera - Photo : Agence nationale Taratra
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