Ne pas être l’homme d’un seul livre


Une «Foire du Livre» s’est tenue cette semaine sur l’esplanade d’Antaninarenina. Et l’impression rapide d’un forte présence des livres religieux. D’ailleurs, lors de mon passage, sur scène l’on jouait un cantique. Certes, une maison d’édition comme Ambozontany, fondée par les Jésuites, s’ouvre à des publications laïques voire scientifiques (livres sur Raombana, le premier historien malgache ; fascicule sur l’élevage porcin ; série des documents historiques de Madagascar, etc.), mais, persiste l’image marquante de cette omniprésence d’ouvrages bibliques, évangéliques, apostoliques. Quoique, s’agissant d’éditions chrétiennes, elles sont strictement dans leur rôle : L’Ambozontany des Jésuites, la TPFLM des Luthériens, le Book Center des Adventistes, la Ligue pour la lecture de la Bible... Oui, mais voilà, j’ai appris à aimer cette citation latine : «Timeo hominem unius libri», je crains l’homme d’un seul livre. Ce «livre seul», qui se suffirait à lui-même, est celui de la parole révélée, de la parole qu’on ne discute pas, d’une «vérité» qui ne souffre aucun doute. N’oublions pas que, pour sa plus large diffusion, le Verbe avait d’emblée su se faire écriture : gravée dans la pierre des Tables de Moïse, dupliquée à la main par les copistes du Moyen-âge ou typographée par Gütenberg, l’inventeur de l’imprimerie. Le premier livre que Gütenberg produisit sur sa presse fut la Bible, en 1455. Bien plus tard, en 1835, les missionnaires-artisans de la London Missionary Society feront également de la Bible le premier ouvrage imprimé en malgache, fixant une certaine orthographe ce qui ne fut pas sans conséquence sur la prononciation de la langue. Best-seller universel, le «seul livre seul» a donné son nom aux trois «Religions du Livre», le judaïsme, le christianisme et l’islam. Les 95 thèses de Martin Luther contre les Indulgences, en 1517, connurent le retentissement qui allait créer la Réforme parce qu’elles furent imprimées. L’affaire des placards contre l’église catholique en 1534 aboutit à la prohibition de l’imprimerie et à la fermeture des librairies en France. L’imprimerie, l’écriture, le livre, ont impacté les mentalités et changé le monde. Tsipika, Prediff (Presse Édition et Diffusion), Mille-Feuilles, et le survivant CMPL (centre malgache pour la promotion du livre) ont complété la liste des exposants. Un petit carré d’activistes de la Culture majuscule. Dans nos pays de tradition orale, on dit souvent que la mort d’un vieillard est pire que la fermeture d’une bibliothèque. Mais, quand on a de vraies bibliothèques et de vivantes librairies, et qu’on les laisse mourrir dans l’indifférence générale, et surtout celle d’autorités qui peuvent venir inaugurer un réfectoire dans les locaux de ce qui fut une bibliothèque qu’on a oublié de convertir en café-littéraire, on prépare le génocide culturel d’une génération et de tout une nation.
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