Outrage aux bonnes moeurs politiques


Enfant, j’ai été durablement marqué par cette illustration, dans un banal manuel scolaire. La photo, en noir et blanc, montrait un carrefour avec les classiques panneaux indiquant des directions-destinations : et en dessous, cette légende en malgache, «tsy manakana anao tsy handeha, fa mba mihazona anao mba hiresaka» (je ne vous barre pas la route, je voudrais vous retenir pour un bref échange). J’ignore pourquoi cette image me revient maintenant en tête. Sans doute parce que des énergumènes vont et viennent dans ma bonne vieille ville d’Antananarivo, mais qu’ils empêchent les gens, nous autres, d’aller ou de rester à notre guise, de rejoindre leur «meeting point» ou de nous en détourner. La même dictature d’une minorité bruyante, la même tyrannie de la rue : 1972, 1991, 2002, 2009. Les commerces d’Analakely baissent prudemment pavillon. Ni 1972, ni 1991, ni 2002, ni 2009, ne leur aura compensé le manque à gagner. Chaque manifestation sur cette place du 13 mai se traduit par une perte sèche. Économique donc. Mais, morale également quand on entend une députée sortir de son rôle d’interpellation politique pour verser dans l’appel au lynchage, la diffamation et l’insulte. Si jamais le pouvoir devenait vacant, ce serait folie, suicide et aberration, que de confier la direction du pays à ceux qui s’ingénient à décrédibiliser le principe d’autorité et l’idée même d’État. On l’avait fait en 1991, en 2002, en 2009, avec la conséquence d’une mentalité collective chaque fois un peu plus dégénérée. Au moins, en 1972, l’institution militaire n’avait pas encore entamé son capital-respect ni le général en chef écorné son prestige à se laisser déborder par ses colonels. Depuis les divisions intestines de 1991, les ralliements intéressés de 2002, le putsch mercenaire de 2009, les forces armées malgaches sont réduites à l’image caricaturale de l’EMMO-REG. Tant qu’ils sont dans l’opposition, à arpenter la place du 13 mai, les politiciens malgaches qualifient cet EMMO de «force de répression». Une fois que les mêmes sont parvenus au pouvoir et ses privilèges, le même EMMO devient le cerbère très républicain d’un temple envahi par les marchands. Tant qu’ils sont dans l’opposition, à battre le pavé autour des ministères pour en débusquer les fonctionnaires assidus à leur poste, les politiciens malgaches pointent du doigt la Haute Cour Constitutionnelle, ce laquais aux «attendus» sur commande. Après que les mêmes individus ont été investis par une HCC autrement recomposée, et voient s’offrir à eux les dividendes du pouvoir, on leur découvre un amour inattendu des «considérants» d’Ambohidahy. Tant qu’ils sont dans l’opposition, les politiciens malgaches crachent abondamment sur le fauteuil présidentiel, celui-là même qu’ils convoitent outrageusement, sans se rendre compte que l’insulte à l’institution prépare déjà le prochain putsch moral. On peut faire de la politique autrement qu’en bloquant la machine administrative ou en menant la rue à l’assaut des institutions de l’État. On doit pouvoir donner une meilleure image du gouvernement, du parlement, de la chose politique : le grand public le voit à la télé (les esthètes peuvent l’apprendre dans les livres) que c’est parfaitement possible dans ces démocraties respectables parce que leurs hommes et femmes politiques sont respectables. Un bien meilleur spectacle à offrir à cette foule de la place du 13 mai serait un documentaire sur le jeu démocratique en Allemagne, en France, en Grande-Bretagne. Dans ces pays où l’empêchement présidentiel ou la censure gouvernementale restent dans les règles de la Constitution. Dans ces pays où la démission n’est pas abandon de l’État. Dans ces pays où la passation s’honore des bonnes manières républicaines. L’alternance ne s’y fait pas sur les ruines de la maison vandalisée du concurrent politique, ni devant les boutiques éventrées des commerçants, ni dans l’odeur âcre des bandes-son d’une radio nationale cramée. Une bonne gouvernance quand on occupe le pouvoir, une critique responsable quand on patiente dans l’opposition. Et pouvoir enfin donner des réponses autres qu’embarrassées à nos enfants qui s’habituent dangereusement au spectacle de la chienlit : 1972, 1991, 2002, 2009, et maintenant 2018. Certains diront que c’est peine perdue de ressasser des valeurs et des principes inaccessibles à l’entendement de cette classe politique-là. Ce sera à qui se lassera le premier. Et si nous autres abandonnons, ce pays sera définitivement foutu. Allons maintenant, librement, chacun notre chemin. Et, merci pour l’écoute. Par Nasolo-Valiavo Andriamihaja
Plus récente Plus ancienne