Jean Omer Beriziky - « Je suis prêt à témoigner dans l’affaire Singapour »


L’ancien Premier ministre demande que des enquêtes soient menées dans le cadre de l’affaire des bois de rose saisis à Singapour. Ministre de l’Environnement à l’époque où la cargaison a quitté Toamasina, il se dit prêt à témoigner et à être entendu. - Y-a-t-il eu des suites aux rumeurs qui disaient que vous étiez surveillé, et que votre domicile allait être perquisitionné ? - Non. Il n’y a aucune suite jusqu’ici. Personne n’est venu perquisitionner mon domicile. - Mais à votre avis, pourquoi certains journaux en ont-ils parlé  ? - Franchement, je ne sais pas. Je me pose moi-même la question. Qui a bien pu orchestrer cela et dans quel but - Mais il n’y a pas de fumée sans feu, non ? - Il est vrai que l’information a été publiée par quatre ou cinq journaux. Pourquoi autant   Ce qui pourrait rendre crédible, dans une certaine mesure, le fait qu’il y ait des dessous politiques. Maintenant, si c’est le cas, pourquoi   Selon les journaux, il semblerait que je réunirais des gens en vue de déstabiliser le pays et de fomenter un coup d’État. Mais je n’ai aucune intention de faire cela. Je n’ai jamais réuni de gens à des fins de perturbation. Tout ce que nous avons fait, c’est de rassembler des personnes dans le cadre de l’association Mamimad dont je suis le président d’honneur. Ces réunions seraient-elles celles dont on parle   Ce sont des réunions qui n’ont aucune visée déstabilisatrice. Ce sont des réunions officielles, organisées au vu et au su de tout le monde, où des autorités sont même parfois présentes. Durant ces réunions, nous faisions connaître l’association, puis, notre président exécutif, M. Imbiki Anaclet qui a écrit un ouvrage sur la réconciliation nationale et qui est intervenu dans le cadre d’une conférence sur le sujet. - Diriez-vous alors que les autorités seraient paranoïaques  ? - Difficile de dire cela directement. Mais cela suscite des interrogations. Pourquoi m’accuser de préparer des troubles, de surcroît à Toamasina   Chacun est libre de s’exprimer, la liberté d’association est la règle. S’il faut intimider les adversaires, parce que cela ressemble à une véritable intimidation … - Vous qualifieriez-vous comme un adversaire du pouvoir actuel ? - Je veux dire, s’il faut intimider ceux que l’on croit être des adversaires politiques, on ne vit plus dans une démocratie, mais dans la dictature. Mais sinon, nous ne sommes pas des adversaires politiques du pouvoir actuel. Nous ne nous sommes jamais proclamés une force d’opposition. Mais nous sommes dans la réflexion : nous envisageons d’aller plus loin dans la prise de responsabilité. Il y a un débat sur la participation du Mamimad à l’élection de 2018. À ce sujet, j’aimerais apporter une précision : ce n’est pas le moment d’annoncer si je suis candidat ou pas à cette élection. J’ai, néanmoins, l’intention d’être candidat à la candidature au sein de l’association qui est seule à déterminer qui sera son candidat. - Quels sont alors vos discours quand vous discutez avec les gens pour que les autorités vous craignent ? - Quand nous examinons la situation actuelle, nous constatons que le pays n’avance pas. Les autorités ne prennent pas leurs responsabilités pour développer le pays, et les gens s’en trouvent déçus. Après la sortie de crise, les élections, et le retour à l’ordre constitutionnel, la population avait cru au développement. Tous avaient espéré que Madagascar sortirait de cette situation politique délétère et d’une situation d’État de non-droit. Nous avions tous pensé que le pouvoir issu des élections serait capable de restaurer l’autorité de l’État, de faire respecter les lois et le droit, mais aussi de rétablir la confiance entre la population et les gouvernants. Or, rien de tout cela ne s’est réalisé jusqu’à présent. Notre discours est donc de dire que nous pouvons être une alternative. Nous avons un projet de société. Nous, l’association ainsi que ses membres, avons pris activement part à toutes les recherches de sortie de crise et de solutions pour Madagascar. Nous disons aux gens que nous pouvons être une alternative pour les convaincre de nous rejoindre. - Mais se poser en alternative, c’est un discours d’opposant, non  ? - Nous ne nous disons pas opposants, nous dénonçons ce qui ne va pas : la corruption, l’insécurité, la mauvaise gouvernance, le non-respect des principes démocratiques, la pauvreté. Les autorités disent qu’elles vont combattre tout cela, mais elles ne concrétisent pas. Tout cela reste de vaines paroles. - Les choses qui ne marchent pas : pensez-vous qu’elles soient dues aux hommes ou à la défaillance du système ? - Les deux. Mais à mon avis, cela tient surtout aux personnes. Les structures, la Constitution, les lois, tout cela peut être utilisé pour le développement. Mais les gens qui gouvernent ne semblent pas être prêts pour cela. La direction d’un Etat est un travail d’équipe, et il faut que l’équipe toute entière vise l’atteinte d’un même objectif. C'est-à-dire, l’intérêt général, l’intérêt supérieur de la Nation. Ce qui n’est pas le cas, malheureusement ! On constate que nos gouvernants s’intéressent beaucoup plus à leurs intérêts personnels et à des intérêts partisans. La preuve : le chef de l’État, apparemment, pense plus à un second mandat plutôt qu’à utiliser le pouvoir qui lui a été confié pour combattre la pauvreté. Pourtant, s’ils veulent acquérir de façon démocratique un second mandat, ils devraient plutôt s’atteler à travailler pour le présent. - Oui, mais dans la conjoncture actuelle, un pays qui sort d’une crise, des hommes politiques qui critiquent à tout va, est-ce que l’on peut vraiment diriger le pays ? - Il est vrai que les institutions qui existent ne sont pas fiables. Que ce soit l’Assemblée nationale, la HCC, ou le Sénat. Encore moins les organes constitutionnels, comme la CENI qui est censée être un organe indépendant. Par ailleurs, le système qui existe et qui est prévu par notre Constitution, qu’ils ont du mal à respecter, n’est pas un bon système pouvant faciliter le processus de développement. - N’y-a-t-il pas là une part de responsabilité de la Transition qui a mis en place ce système ? - Moi qui suis un peu l’instrument et l’artisan de la sortie de crise par l’organisation d’élections crédibles, je me rends compte aujourd'hui que Madagascar, politiquement, n’était pas encore prêt à assumer une bonne gouvernance, capable de mener vers un développement harmonieux et durable, vers un bon développement. - Diriez-vous que le processus de sortie de crise est un échec  ? - Je pense que la Communauté internationale, en précipitant le processus, n’a pas véritablement mesuré les impacts de cette crise qui a duré trop longtemps, mais aussi les impacts des autres crises qui ont eu lieu à Madagascar auparavant. - Êtes-vous de ceux qui pensent qu’il faut une élection présidentielle anticipée ? - Je suis convaincu qu’il faut un événement pour qu’il y ait une élection anticipée. Cela pourrait être un événement constitutionnel, comme ce qui s’est passé avec la motion de déchéance. C’est une voie légale. L’autre événement pourrait être la démission du Président. Mais je doute fort qu’il le fasse. Cela peut aussi être un autre événement, la descente dans la rue pour demander au Président de démissionner, comme ce qui s’est passé auparavant et, comme ce qui s’est passé aussi au Brésil… - Là, vous semblez appeler les gens à la révolte … - Descendre dans la rue est une manifestation de mécontentement et constitue une forme d’expression démocratique. Cela n’est pas forcément un coup d’État. Je ne souhaite évidemment pas cela pour le pays, mais cela peut constituer un événement qui conduise à une élection anticipée, ou à une convention qui pourrait cadrer une élection anticipée, comme ce fut le cas en 1991. -Une nouvelle transition, en somme… - Je pense qu’une transition douce pourrait être une solution, pour justement élaborer les textes fondamentaux : la Constitution, le code électoral, la loi sur les financements des partis, la loi sur le financement des élections, etc. - Mais tout cela n’aurait-il pas dû être fait sous la Transition ? - Il faudrait adopter de nouveaux textes, avec toutes les balises et les garde-fous permettant d’éviter toute dérive vers la violation des lois en vigueur. - Mais vous étiez dans la Transition qui était censée faire cela, non   Diriez-vous que vous avez raté votre mission   Que vous étiez aussi responsable que la Communauté internationale qui aurait précipité le processus ? - La mission qui a été confiée à mon gouvernement était spécifique. La mission fondamentale était d’aller d’abord vers les élections, et sortir de la crise. Mais il n’y avait pas d’élaboration de textes. Tout cela a été fait auparavant. Cette Transition était cadrée et régie par la Feuille de route, tandis que tous les autres textes étaient déjà élaborés. Mais il faut aussi dire que les institutions de l’époque n’avaient pas non plus la légitimité nécessaire pour adopter ces textes. - Pensez-vous que ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui ont cette légitimité  ? - Pour cela, il faut de la volonté politique. Il faut avoir le courage politique d’élaborer et d’adopter ces textes. Et puis, il est aussi vrai qu’adopter une loi est une chose, la respecter et la faire respecter en est une autre … - Puisqu’on parle de Transition. Les bois saisis à Singapour étaient sortis de Madagascar quand vous étiez encore Premier ministre et assuriez l’intérim au ministère l’Environnement … - Tout à fait exact. Sur ce sujet, je vais vous dire ceci : vous pouvez être Premier ministre, vous pouvez être ministre, mais vous ne pouvez pas tout maîtriser. Vous ne pouvez pas, par exemple, être au port de Tamatave pour tout surveiller. C’est la raison pour laquelle, je demande une investigation sérieuse. Et j’ajouterai que, dans un contexte de transition où le pouvoir était confié à des mouvances, où l’Exécutif n’était pas monolithique, des situations vous échappent, et vous n’arrivez pas à les maîtriser. C’était une réalité. - Vous n’aviez pas autant de pouvoir que cela  ? - Quand j’étais ministre de l’Environnement, j’ai été à la tête d’un comité de pilotage dans lequel la Banque mondiale et plusieurs autres entités de la société civile étaient aussi parties prenantes. Je dirigeais des réunions où on prenait des décisions, mais toutes les décisions prises au niveau de ce comité n’ont jamais été véritablement mises en œuvre. Ceux qui ont été traduits en justice ne sont restés que quelques jours en prison. Raison pour laquelle je demande qu’il y ait une investigation sérieuse sur la sortie de ces bois de Madagascar pour savoir qui y étaient impliqués. Je demande aussi à ce que Madagascar s’implique fortement dans le procès qui se tiendra à Singapour. Parce qu’il s’agit, tout compte fait, de notre richesse nationale. - En tant que ministre de l’Environnement de l’époque, seriez-vous prêt alors à témoigner  ? - Tout à fait. Je suis prêt à témoigner et à être entendu sur ce dossier. Propos recueillis par Bodo Voahangy
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