L’éducation à Madagascar débattue au Parlement français


Au début de la colonisation, sous le gouvernement général de Joseph Gallieni, les luttes confessionnelles, notamment entre protestants et catholiques, sont aigües. L’organisation scolaire, mise en place par l’ancien régime, aurait pu durer quelques années de plus. Et ce, avec les modifications éventuelles dans le sens de la francisation qui s’imposent après la conquête. D’après Pietro Lupo (lire précédentes Notes), le Général écrit au secrétaire du district de la London Missionary Society du Betsileo, le 18 décembre 1896 : « … Je tiens à affirmer bien haut les principes de tolérance religieuse qui guident ma conduite ici, je tiens non moins expressément à ce que l’enseignement et l’éducation des populations malgaches soient dirigés dans un sens résolument français, afin de faire pénétrer progressivement partout notre influence. » Occupé par la « pacification » et par l’organisation administrative de la nouvelle Colonie, Gallieni aurait préféré ne pas aborder tout de suite le problème de l’école. Le préjugé catholique du futur organisateur du Maroc « ne l’empêche pas de saisir la question de l’école à Madagascar dans son contexte global et sans sa véritable lumière, du moins au moment où le rapport est rédigé ». Pietro Lupo cite alors un extrait d’un document de Lyautey : « En tout autre pays, c’eût été une bonne fortune de trouver des missionnaires français déjà établis et ayant organisé, avant notre arrivée, un enseignement français comme celui qui était déjà donné par les pères jésuites et les frères de la doctrine chrétienne ; c’est parmi leurs élèves que nous avons trouvé nos premiers fonctionnaires, nos premiers interprètes et ce sont eux qui, malgré bien des déceptions, nous sont les plus dévoués. Nous n’avions eu qu’à pousser au développement de cet enseignement en le contrôlant, en le forçant à ne pas exagérer le temps accordé à l’enseignement religieux, au détriment de l’enseignement pratique, en lui adjoignant au besoin, des auxiliaires pris au début parmi les militaires. Nous aurions aussi laissé l’enseignement aux mains de maitres offrant toutes les garanties, connaissant à fond la race, préparés et ayant fait leur preuve de patriotisme pendant la longue période où ils auraient été à Madagascar les seuls représentants de l’influence française en face de l’étranger. Enfin, nous aurions conservé à l’enseignement une direction morale qui lui a gravement manqué depuis, et dont l’absence n’est pas étrangère à beaucoup de difficultés que nous rencontrions. Malheureusement, nous nous sommes trouvés en face du vaste enseignement protestant organisé par les Anglais. » Le Parlement français débat de cette situation, dès les premiers mois de l’occupation d’Anta­nanarivo. Les thèses les plus disparates, indique l’auteur, s’y affrontent, depuis celle proclamée par les cléricaux sur les services rendus par le catholicisme à la France jusqu’à celle nettement laïciste, visant à éliminer toute présence religieuse parce que pouvant entraver l’action civilisatrice de la France. Le ministre des Colonies, André Lebon, s’en fera l’écho dans une lettre du 21 décembre 1896 au Général, dans laquelle il souligne que le problème a pénétré même dans le Parlement : « Je ne crois pas nécessaire de vous rappeler les incidents qui s’y sont produits (…) les débats parlementaires vous ont été déjà révélés (…) les véritables sentiments des représentants de la nation. » Pourtant, fait remarquer Pietro Lupo, entre l’original de la lettre et la copie expédiée au Général après correction de Lebon lui-même, certains passages reflétant des positions favorables aux missions, exprimées pendant le débat parlementaire en question, sont omis. Et il évoque les passages qui « auraient pu compromettre la politique de laïcisation » vers laquelle le pouvoir s’oriente. Tel celui-ci : « Je vous engage donc à persévérer dans la règle de conduite que vous avez jusqu’ici observée à leur égard (des missions) et je ne vois aucun inconvénient à ce que vous accordiez des témoignages particuliers à ceux qui mettent leur activité et leur bonne volonté au service de la France, et appliquent leurs efforts à persuader aux populations qu’elles évangélisent, combien nous sont à cœur la prospérité des pays et le bien-être de tous ses habitants sans distinction d’origine. » Le 4 septembre 1898, Gallieni qui ignore ce passage, écrit à Piolet: « Il ne m’est pas possible d’admettre que la tâche que j’ai à accomplir ici, soit entravée par l’agitation qu’entrainent trop souvent encore les dissensions religieuses. Je suis forcé alors de prendre certaines mesures qui, je vous l’assure, me paraissent plutôt fâcheuses qu’utiles pour l’avenir de la Colonie. » Sans doute cela exprime-t-il ce qu’il pense personnellement « des mesures qu’il va prendre » sur le plan officiel et qui se traduisent par des textes de loi.
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