La Vérité dans la chose écrite -


Après avoir dévoilé « l’irrationalité » des légendes aux villageois d’Imamo, les missionnaires de la première vague débutent leur « sensibilisation-évangélisation » en expliquant l’humanité pécheresse et le Sauveur, et parlent de la supériorité de « la chose écrite qui traduit la vérité » sur la transmission orale (lire précédentes Notes). Villageois qui demandent comment ils connaissent toutes ces choses. « Nous avons la parole de Dieu écrite ou marquée sur du papier et en regardant le papier, nous connaissons la parole de Dieu. Ce papier sur lequel est écrite la parole de Dieu, nous parle de Dieu, de l’homme, de la mort, du bonheur des bons et du malheur des méchants… » Ils donnent la même réponse à leurs auditeurs, au cours d’une autre tournée : « Nous savons tout cela parce que nous avons la parole pure de Dieu. » Françoise Raison, auteure de l’étude sur « Le travail missionnaire sur les formes de la culture orale à Madagascar entre 1820 et 1886 », indique que les villageois semblent croire en cette affirmation car ils y voient l’explication de l’impunité dont jouissent les missionnaires face aux puissances redoutables qu’ils défient. Ils pensent que s’ils survivent à la visite sacrilège sur la tombe de Rapeto, c’est que, disent-ils, « peut-être ils sont trop saints pour être frappés, étant donné qu’ils connaissent le livre de Dieu ». Ils croient également que les élèves malgaches sont protégés par ce contact du livre. « Un vieillard refuse de porter le bois sacré coupé près d’un autel, à Tompomanandrariny : J’en mourrais, dit-il. Je ne suis pas comme les enfants. Les enfants apprennent le livre. » Françoise Raison commente alors le comportement des missionnaires. « Il aboutit ainsi à une fétichisation de l’écrit, dont le pouvoir est conçu par les illettrés comme magique et dont la vérité (tout ce qui est écrit est vrai !) est opposée, comme venue de Dieu, aux errements de la transmission orale, à travers la chaine des générations, non plus fable, c’est-à-dire déchiffrement du monde, mais affabulation. » L’auteure de l’étude mentionne que, pour les commentateurs protestants, c’est cette autorité (self-validating authority) tirée par Bible de sa qualité d’« Écriture Sainte », qui permettra aux missionnaires de « contrebalancer le poids considérable de l’autorité sociale et ancestrale qui accrédite les récits qu’ils recueillent ». Et de critiquer : « Face aux dires portés par une société toute entière (les récits recueillis n’ont, en effet, rien d’ésotérique, mais touchent des coutumes connues de chacun dès l’enfance), la parole missionnaire n’est appuyée sur aucun corps social, sur la vie d’aucune société, ici l’européenne. Son support, c’est l’écriture. » D’où son étonnement de constater que, malgré les extraordinaires capacités de mémorisation des élèves reconnues par les maitres, il faut recourir à l’imprimerie pour des textes très courts qui auraient pu, dans le contexte malgache, se transmettre oralement. C’est ainsi que sont édités des tracts sous formes d’historiettes aux titres énigmatiques : « Ny soa mody loza, ny loza mody soa » de Griffiths, « Ny lalandroa » de Johns, « Josefa sady mahantra no mpitamby, tantara marina » adapté par Baker, « Ny menarana varahina » extrait des « Nombres » par Freeman… Certains sont suivis d’une exhortation finale comme « Vava tsy ambina no ahitan-doza » de Griffiths. Texte : Pela Ravalitera - Photo: Archives personnelles
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