L’Indonésie, la grande matrice de la civilisation malgache


Partout à Madagas­car, les populations sont riches en tradition, même celles des marges maritimes et du Sud. On peut lire dans l’ouvrage d’histoire de 1968, réservé aux lycéens des classes Terminales, que les traditions des populations des marges orientales de l’ile trouvent des échos particulièrement intéressants dans les récits des commerçants étrangers qui ont touché la côte à partir du XVIe siècle. Dans ces zones, « le compartimentage de la plaine a multiplié les groupes et les traditions. Les échanges et les conflits, la piraterie, la traite des esclaves ont profondément marqué ces récits ». D’après l’ethnologue Jean Poirier, les « lovan-tsofina » sihanaka conservent le souvenir des tribulations du groupe. Les Sihanaka se seraient installés aux premiers temps de leur arrivée dans l’ile à Anonoro d’où ils auraient progressé vers l’intérieur. Les populations bara, encore un peu plus à l’intérieur, se souviennent d’une période difficile au cours de laquelle elles durent abandonner le Sud-est pour migrer vers leurs terrains de parcours actuels. Quant aux Sakalava, ils racontent des épisodes assez imprécis qui les conduisent à la conquête du Sud-ouest, puis de l’Ouest de la Grande ile. « Ces récits paraissent évoquer un passé relativement proche au-delà duquel l’archéologie pourra peut-être nous conduire. » D’après les auteurs de l’ouvrage d’histoire de 1968, « les traditions et les enquêtes ethnographiques mettent en relief l’uniformité de la civilisation malgache originelle ». Le cadre des récits ne déborde jamais le territoire de l’ile. Et jusque dans les années 1960, les ethnographes ne rencontrent dans les traditions aucun souvenir de l’épopée océanique qui précède le peuplement de Madagascar. « La Grande ile a définitivement assimilé les migrateurs.» La « mémoire cumulée » ayant ses limites à l’échelle des possibilités humaines, les «lovan-tsofina» les plus anciens ne sont pas parvenus jusqu’à aujourd’hui. Cependant, les traits culturels et les techniques révèlent « la dualité (opposition ou juxtaposition) des influences de l’Asie du Sud et de l’Afrique orientale.» Les auteurs du livre d’Histoire de 1968 soulignent quelques remarques importantes sur ce point. La difficulté de distinguer les deux apports est encore très grande. D’une part, il n’existe pas d’inventaires concernant les différentes aires culturelles. D’autre part, dans le contexte général de l’océan Indien, on trouve des caractères communs à l’Afrique orientale et à l’Asie du Sud-est. « Seuls des travaux précis et complets permettront des études comparatives intéressantes. » Deuxième remarque, l’Afrique qui n’a pas sensiblement modifié le substrat linguistique indonésien, apporte dans la Grande ile des techniques que l’on retrouve sur ses marges indiennes. Ainsi apparait l’importance des escales et des séjours des populations de l’Est asiatique sur la côte africaine. Pourtant, « les valeurs et les techniques indonésiennes paraissent le fonds le plus important, le support de la culture malgache traditionnelle ». Dans une étude très documentée sur « les instruments de musique à Madagascar », Curt Sachs insiste sur « le caractère archaïque de ces instruments dans les continents d’origine ». Selon les auteurs de l’ouvrage, cette remarque met en relief non seulement l’ancienneté relative des emprunts, mais encore l’action de l’insularité. En effet, Madagascar a reçu de l’Afrique et de l’Asie des valeurs culturelles et des techniques que l’océan a isolées des aires de départ. « Une civilisation originale s’est développée dans ce creuset insulaire (la Grande ile) et a acquis au cours des siècles, malgré la diversité régionale superficielle, une uniformité certaine. » Poussant leurs hypothèses, ils précisent qu’il est possible que Madagascar doive cette uniformité à l’importance de l’apport indonésien dans sa culture. Et ils citent Jean Poirier pour conclure le chapitre sur l’ethnohistoire. « L’Indonésie est la grande matrice culturelle d’où procède la majeure partie des thèmes de la civilisation malgache traditionnelle ; des côtes de l’Inde et du Golfe Persique proviennent la majorité des éléments islamiques dont on mesure de plus en plus l’importance qu’ils ont au sein de la culture malgache ; de la côte orientale d’Afrique sont venus d’autres apports arabes et les éléments négro-africains. » Et l’anthropologie met en exergue l’importance de l’apport africain dans le peuplement de Madagascar.
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