Moralité d’une histoire à la Raspoutine


Le 29 décembre 1916, à Saint-Petersbourg, était assassiné Grigori Lefimovitch Raspoutine. Le journal français Le Figaro du 1er janvier 1917 avait annoncé la nouvelle, qui aurait donc dû parvenir à ses lecteurs de Madagascar, colonie française il y a encore un siècle. Tant de fantasmes continuent de courir sur la mort du «moujik illuminé». Une seule chose est certaine : les cercles artistocratiques russes, dont la mère de Nicolas II elle-même, voulaient se débarrasser de celui qui avait vraiment pris trop d’influence sur le couple impérial. «Pour l’honneur de notre Tsar et pour l’avenir de la sainte Russie, il faut que ce misérable disparaisse» aurait déclaré un des conjurés. Ce que rapporte le prince Youssopov, époux de la nièce du Tsar et propriétaire du palais éponyme à Pétrograd. «La fin de Raspoutine», titre du livre publié en 1927, n’a pas été commode : celui qui prétendait détenir des pouvoirs surnaturels, aurait d’abord résisté au cocktait d’une bouteille de vin et de gâteaux empoisonnés au cynaure ; le prince Youssopov dut se résoudre à lui tirer deux balles en pleine poitrine ; mais, titubant, il aurait encore réussi à s’échapper ; trois autres balles du député Pourichkevitch le mettent enfin à terre ; cependant, alors que les conjurés, dont le grand-duc Dimitri Pavlovitch cousin du Tsar, allaient jeter son corps dans la Néva, Raspoutine aurait encore eu un dernier sursaut de vie... Ce récit fantastique est sans doute à mettre sur le compte de tout le mysticisme qui entourait le personnage et qui a pu impressionner jusqu’à ses ennemis, ceux-là même qui déclarent que «l’impératrice ne voit que par ses yeux, et le petit père le Tsar a si peu de volonté». Comment un «mystique errant», qui prétendit avoir vu la Vierge Marie à l’âge de 16 ans, avait-il pu devenir «l’amant le plus formidable de toute la Russie  » Le «paysan illetré de Sibérie», le «simple homme du peuple, doué d’une singulière influence quasi magnétique, à demi illuminé et en même temps doué d’une remarquable dose d’astuce et de rouerie», put même diriger la Russie quand le tsar Nicolas II, parti sur le front de la guerre de 14, confia la gestion des affaires courantes à son épouse, dûment coachée par Raspoutine, dirions-nous aujourd’hui. L’impératrice Alexandra Feodorovna était d’origine allemande ce qui lui sera reproché quand le Romanov Nicolas II et son cousin Hohenzollern Guillaume II allaient lancer leurs pays respectifs, la Russie et l’Allemagne, dans une guerre qui emportera les deux dynasties. En 1907, Raspoutine ayant réalisé le miracle de guérir son fils unique qui souffrait d’hémophilie, Alexandra lui devint redevable. Mais, on la dit fascinée, envoûtée, subjuguée. La rumeur fit d’elle la maîtresse de ce personnage infréquentable. Les caricatures nous ont laissé l’image d’un prédicateur en robe sombre, cheveux noir de jais, barbe brune fournie, et un regard hypnotique. Flatteries envers les autorités ecclésiastiques, fornication avec les princesses royales, orgies avec les aristocrates oisifs et crédules. La dernière légende au discrédit de Raspoutine serait d’avoir réussi à faire croire à l’empereur que tout allait bien en faisant ériger sur son passage des villes et des villages en carton-pâte pour cacher la misère et l’anarchie. Le président de l’assemblée aurait pourtant tenté d’attirer l’attention du Tsar : «Personne ne vous ouvre les yeux sur le rôle véritable de cet homme. Sa présence à la Cour sape la confiance dans le pouvoir suprême». Entre réalité d’alcôves et aveuglément impérial, désinformation bolchévique et fantasmes populaires, Raspoutine sera devenu le «saint diable» des ultimes années de la dynastie Romanov. Le Tsar Nicolas II, petit-fils de la reine Victoria d’Angleterre, fut contraint d’abdiquer pour épargner à la sainte Russie la révolte d’une population excédée. Enfermés dans la tour d’ivoire du château impérial, les Romanov ne surent pas saisir l’occasion de renoncer avant qu’il ne soit trop tard. Trois cents ans dynastie allaient se terminer dans le massacre d’un père et de son épouse avec leurs cinq enfants à Ékaterinburg. Suivirent soixante dix ans de cauchemar communiste. Ce genre de malentendu survient chaque fois qu’un illuminé, un escroc, une âme damnée, parvient à accaparer l’oreille d’un souverain. Nasolo-Valiavo Andriamihaja
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