Toi, aussi, mon fils !


«Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite ; Et recevoir ces deux menteurs d’un même front ; Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire ; Tu seras un homme, mon fils». Tout le monde connaît ces vers de Rudyard Kipling (1865-1936) adressés à son fils unique. Depuis 1909, le texte original en anglais aura reçu moult variations (ne serait-ce qu’en traduction française), mais cette version-là est celle que j’ai apprise des «bons pères», chez les Jésuites. Ce paragraphe pour introduire l’émotion que je crois deviner quand l’ami Tiana Rasamimanana est tombé dans les bras de son fils Thomas après leur victoire au «BMOI Premium-Challenge-Père et Fils», tournoi de tennis organisé par le Country Club d’Ilafy. Quelque chose dans la légende, qu’il a choisie pour commenter la photo (ça se passe sur Facebook), ressemble à de la fierté. Ce devait être cette même fierté un peu cabotine pour le père Keke Rosberg, 69 ans, champion du monde de Formule 1 en 1982, quand, dimanche 29 juin, avant le Grand Prix de Monaco, il a effectué deux tours de circuit devant son fils Nico Rosberg, 32 ans, champion du monde 2016. Aux yeux de quelqu’un comme moi, éduqué dans une certaine sobriété sentimentale et dans la détestation des effusions par trop visibles, disons que c’est humain. Le 30 mai 2018, en France, la Fondation des Femmes lançait la campagne «Tu Seras un Homme Mon Fils» pour inciter les pères à éduquer leurs fils dans un climat d’égalité entre les sexes pour lutter en amont contre les violences faites aux femmes : «Si tu sais regarder une femme sans qu’elle n’ait à craindre ton regard ; Tu seras un Homme, mon Fils». Les thérapeutes sociaux, commentant cette démarche, recommandent de toujours laisser le choix aux enfants. Pas de diktat des couleurs. Pas de stéréotype aux jeux. Après avoir doctement expliqué que le père est LE modèle pour son fils. Il faudrait savoir. J’ignore si mon paternel serait fier de son fils. Quant au mien, c’est déjà heureux qu’il se soit mis aux «Échecs». Lui, qui n’a toujours pas lu un livre de ma bibliothèque, jetera sans doute plus facilement un œil à cette rapide citation : «comment concevoir la vie d’une intelligence tout entière réduite à cet étroit parcours, uniquement occupée à faire avancer et reculer trente-deux pièces sur des carreaux noirs et blancs, engageant dans ce va-et-vient toute la gloire de sa vie ! Comment s’imaginer un homme qui considère déjà comme un exploit le fait d’ouvrir le jeu avec un cavalier plutôt qu’avec un simple pion - un homme donc, un homme doué d’intelligence, qui puisse, sans devenir fou, et pendant dix, vingt, trente, quarante ans, tendre de toute la force de sa pensée vers ce but ridicule : acculer un roi de bois dans l’angle d’une planchette !»... Manifestement, Stefan Zweig n’avait pas beaucoup de considération pour les «monomaniaques» de type Anatoli Karpov, Gary Kasparov, Rameshbabu Praggnandhaa et sa sœur Vaishali... Si une famille, honorablement connue à Madagascar, avait fondé un empire industriel et commercial sous l’enseigne célèbre «Henri Fraise et Fils», les relations père-fils avaient pu dans l’histoire emprunter un mode tragique : vers 1808-1809, le roi Andrianampoinimerina fit tuer deux de ses fils, Rabodolahy et Imavolahy, accusés de vouloir assassiner le roi et son héritier au trône ; en 1893, le Premier Ministre Rainilaiarivony envoya en exil son fils Rajoelina, impliqué dans le complot (Rajoelina-Rajaonah-Ralaikizo) visant à le destituer. La question du père n’est pas indifférente quand on se refère à l’histoire de Brutus, l’assassin de Jules César, en l’an 44 avant J.-C. : on lui prête successivement un père légitime, un père adoptif, deux beaux-pères...et un père naturel supposé, sinon un père spirituel, en la personne de César lui-même qui, après le vingt-quatrième et dernier coup de couteau dans l’hémicycle du Sénat, aurait eu ces mots passés à la postérité : «Tu quoque mi fili», «toi, aussi, mon fils»... Dans la relation père-fils, tantôt on appelle à «tuer le père», une autre fois, à stigmatiser le geste de Brutus comme paradigmatique de la trahison. Dans «César», le livre de Marcel Pagnol, le testament de Panisse me semble caractéristique d’une complexité naturelle qu’on serait présomptueux à réduire en équation : «Mon garçon, j’ai toujours su que je n’étais pas ton père. Signé : Papa» par Nasolo-Valiavo Andriamihaja  
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