Le triptyque des marchés du samedi à Ivohibe


En ce début du mois de juin, Mois de l’Enfant nous allons reprendre certaines Notes. Capitale des Bara Iantsantsa (clan royal) qui peuplent l'Est de l'Ihorombe, Ivohibe se niche au pied du mont qui lui a donné son nom. Bordant une RN27 très dégradée mais qui s'avère aussi le plus court chemin pour relier Ihosy à Farafangana, l'ancienne sous-préfecture est, comme toutes ses semblables grandes productrices de riz, enclavée presque tout au long de l'année, en cette année 2001. Au cours des décennies, les Bara Iantsantsa remarquables par leur petite taille et leurs traits racés, ont déserté leur capitale. Ils laissent la place aux fonctionnaires « considérés à tort comme étant en pleine affectation disciplinaire », et aux migrants betsileo, antefasy et antesaka. Ils s'installent dans les zones rurales où les grands espaces favorisent l'élevage extensif et transhumant qu'ils pratiquent. À moitié sédentaires par nécessité agricole, ils redeviennent facilement nomades. À cause de leurs troupeaux. Car le zébu est roi. Mieux, dans la philosophie bara il passe avant Zanahary, l'homme et les fils, le genre féminin (épouses et filles) se trouvant au tout dernier rang. En fait, toute la vie émotionnelle, affective, financière, bref toute l'existence du Bara est investie et focalisée sur le zébu. Et le plus grand drame de sa vie est au mieux la mort d'un zébu, au pire une razzia dahalo. La richesse du Bara s'évalue d'ailleurs au nombre de têtes qu'il possède (une cinquantaine en moyenne) et de ce fait, de femmes qu'il a, et non à la superficie de ses rizières, à sa tenue vestimentaire ou au confort de sa maison. Élevage contemplatif où il investit tout son argent et dont il n'en vend une ou quelques têtes qu'en tout dernier recours en cas de grands besoins, mais qu'il abat facilement au cours de cérémonies rituelles, obligatoirement lors du décès de son propriétaire. Le zébu symbolise également le contrat de mariage. C'est dire qu'avoir des filles peut s'avérer avantageux, tandis qu'avoir des fils constitue un grand honneur, surtout s'ils sont très bons éleveurs, ce qui sous-entend bons « malaso ». L’ado­lescente sert alors de monnaie d'échange. La coutume des Iantsantsa en général, des Antezabe en particulier, exige que l'on se marie au sein même du clan, voire de la communauté (par hameau ou par village). Ainsi, la coutume du « vady aman-kavana » (mariage entre cousins), du « lova tsy mifindra » permet d’éviter non seulement la mésalliance, mais surtout d'éviter la dispersion des membres et des biens de la grande famille. En outre, le système polygame se pratique encore du moment que la première épouse donne son accord et que l'homme a les moyens d'entretenir ses femmes sur le même pied d'égalité. Et c'est là que le zébu vient tout compliquer. Un jeune homme a plus de chance d'être accepté s'il est « malaso », s'il a déjà fait ses preuves en volant au moins un zébu, l'incarcération rendant davantage remarquable sa prouesse. Cette dernière pratique coutumière tend cependant à disparaître à Ivohibe, zone dite rouge où sévissent les dahalo, éléments « illettrés » mais fins stratèges, pas forcément Bara, organisés en bandes appuyées par certains « ombiasy ». Parallèlement, une nouveau-née peut-être « réservée » à un homme- ou à un garçon de son âge- par ses parents dès que la demande se fait selon les règles. C'est-à-dire avec un zébu, le « fafy » remis au « lonaka ». En revanche, celles qui échappent à cette « réservation » sont encouragées par leurs parents à passer le week-end à Ivohibe, « ndeha an-drova », sous prétexte d'acheter du sel (« miremby sira ») ou autre PPN. Ivohibe où le marché des bovidés, qui succède à celui des cultivateurs, le « Tsenan'ny tantsaha » dans la matinée, constitue un point de rencontre de nombreux propriétaires et opérateurs de zébus, mais aussi des communautés bara de la région. Et après le « Tsenan'omby » de l'après-midi, vendeurs, acheteurs et surtout jeunes bouviers, plus ou moins « malaso », plus ou moins dahalo, rejoignent l'autre marché, celui des filles installé devant un bar « selon le triptyque zébu-fille-alcool». Mais condition sine qua non, il faut être Bara d'un côté comme de l'autre. « Vahiny » s'abstenir! Car il s'agit pour l'adolescente- à 18 ans, elle est déjà qualifiée de vieille fille- de trouver un époux hors de sa communauté villageoise où, à force de vivre entre soi, l'environnement devient trop étroit, trop pesant sinon malsain pour elle. Mais cette recherche se fait toujours parmi les clans bara. Et cela sur un fond de sexualité précoce et de liberté sexuelle. Le « Sabotsin'ampela » favorise la rencontre d'affinités et le week-end se prolongera jusqu'au lundi. Mieux, les mêmes affinités peuvent se retrouver plusieurs week-ends de suite, voire toute la vie, car « souvent cela se termine par un mariage ». De leur côté, certaines mères célibataires ou « divorcées » y trouvent facilement un mari, par leur seul statut de mère dans une région où le taux de stérilité est assez élevé à cause des MST. Évidemment, comme la plupart des coutumes matrimoniales, le « Tsenan' ampela » a tendance à dévier de son objectif principal, pour devenir un simple lieu de prostitution. Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles04
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