Si l’urbanisme avait écouté la Culture


J’entends d’ici certaines maugréations : «Les gens sont malheureux, mais l’État préfère reconstruire le Rova». Normal que certains biaisent ainsi la démarche : depuis 60 ans de République, les Malgaches ont toujours cru que la Culture, ça ne se mange pas. Et d’abord, il ne s’agit pas de reconstruire le Rova en volant de l’argent dans les caisses des allocations familiales, ni en pillant la CNAPS et ses pensions de retraite, ni à priver les ministères dédiés de leurs subventions sociales. L’État ne va pas habiller le Rova avec les frusques dont on aurait dépouillé la population. La reconstruction du Rova, tâche titanesque mais prestigieuse, attirera des mécènes qui n’ont cure de participer à des levées de fonds humanitaires. D’ailleurs, les contributeurs les plus modestes furent nombreux à participer aux dépenses de la restauration de la silhouette du palais de Manjakamiadana. Preuve que les gens ne pratiquent pas uniquement la «politique du ventre». Et que la richesse du coeur ne se marchande pas : «fitia tsy mba hetra». Il ne s’agissait pas de revendiquer la propriété d’une seule des milliers de pierres taillées nécessaires à l’édification du monument, mais bien d’apporter sa part. En ce sens, les gens les plus modestes firent véritablement «sym-bole», apportant la part, aussi petite fût-elle, mais qui aurait cruellement manqué à l’autre moitié de l’ensemble. Je contribue, donc je suis. Curieusement, on retrouva donc, à l’occasion de cette contribution volontaire, un lointain écho de l’antique coutume de la remise du «Hasina» sous forme de «Vola-tsi-vaky», la dîme de la piastre entière non morcelée : renouvel­lement périodique de l’allégeance à la personne royale et à la protection de l’Andriana (en l’occurrence, le souverain ou le seigneur tompomenakely avec sa part d’autonomie féodale). Les maîtres d’ouvrage du Manjakamiadana XXIème siècle racontent comment des tailleurs de pierre se firent un point d’honneur d’acheminer à leurs frais les blocs nécessaires à la reconstruction de Manjakamiadana. Personne, jamais, ne l’apprendra. Mais, eux le sauront pour eux-mêmes, et c’est bien là, l’essentiel. Autre récrimination très actuelle, s’il fallait que, «pour le symbole», quelque activité au Rova devait débuter en cette période : celle de ceux qui se feront les porte-paroles des très récentes victimes d’énièmes éboulements au bas d’Ampamarinana. Les dates, on les a : 3 février 2019, 19 janvier 2019, 17 février 2018, 26 février 2015. Les statistiques, on les connaît : au moins, une trentaine de morts. Le bilan macabre risque encore de grimper si on ne se rend pas à la raison. Il ne fallait jamais autoriser toutes ces constructions à flanc d’une roche à pic. Si l’urbanisme avait écouté la Culture, le Maire ou le Ministre auraient vu les photos qui prouvent que jusqu’au début de la colonisation, donc de la fin de la période typiquement malgache, le «tany gasy» comme disaient les Anciens, personne n’était assez fou pour s’aventurer au bord de ce précipice ou suffisament dément pour se la jouer troglodyte à mi-pente ou en bas de la falaise. Et comme toujours, en pareil cas, les Anciens avaient pris la précaution de sanctionner d’un «fady» (tabou) ce qui n’était que prudence de bon sens. Alors, reconstruire le Rova, oui, certainement. Parce qu’on a un besoin de Culture et que ce site historique, autour du tellement emblématique Manjakamiadana que ce palais en phagocyterait Besakana et les Fitomiandalana dans l’imaginaire collectif, en fournit un formidable condensé : un lien spirituel avec les anciens-maîtres-de-la-Terre ; un cordon organique pour ceux qui y comptent des ancêtres ensevelis ; une dimension historique majuscule dont notre susceptibilité actuelle témoigne plus que tout ; une matrice architecturale au fondement de notre «Trano Gasy» ; une lisibilité socio-spatiale collinaire avec vue panoramique sur une mer de rizières, à la fois douve inondable et grenier irrigué.
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