La faim justifie les moyens


Éblouis par l’illusion cultivée par le succès des fast-foods, nos yeux ont tendance à se fermer sur une autre réalité. Le contraste est pourtant bel et bien palpable. Comme dans le chapitre des Misérables (V. Hugo, 1862) dans lequel une brioche, jetée dans une fontaine par un enfant rassasié et récupérée par les deux frères pauvres de Gavroche, est au milieu du clivage. Près de nous, on a les longues files de clients à côté des représentants du côté obscur de la société, ceux qui ne peuvent manger ce que l’autre catégorie peut s’offrir, qui triment pour ne pas succomber sous la faim. Ils sont filtrés par notre vue mais l’indifférence est réduite au silence quand on est les victimes collatérales de leur situation : quand on est la cible de leurs méthodes de subsistance non-conformes à nos normes. Dans le génial Le charme discret de l’intestin (G. Enders, 2014), on apprend l’importance de la santé de l’intestin, notre « deuxième cerveau », pour notre bien-être. On y découvre, par exemple, son grand rôle dans l’entretien du bonheur : une part considérable qui se chiffre à 95% de la production de sérotonine, l’hormone du bonheur. D’où la nécessité eudémonique d’avoir un ventre bien-portant. On dit qu’on ne peut pas acheter le bonheur, pourtant il a bien un prix : une alimentation riche en tryptophane qu’on peut trouver dans le fromage, les œufs, la viande blanche,… À quoi sont alors réduits ceux qui ne peuvent se l’offrir, les bannis de la satiété, ceux sur qui le spectre de la faim est le plus oppressant ? La faim justifie-t-elle les divers actes répréhensibles qui ternissent notre quotidien ? Souvent les œuvres de fiction font pencher notre sympathie du côté des voleurs. Quand on nous montre la condition de clocharde de la gamine du film Les temps modernes (C. Chaplin, 1936), notre cœur lui pardonne le vol du pain. La faim est un des peintres qui remplissent l’atmosphère sociale de couleurs sombres. Alors se multiplient les larcins, les brigandages, les actes criminels motivés par la poursuite de la manne précieuse. Ce paysage social est aussi exploité par des mendiants en col blanc, des quémandeurs d’un autre type : ce sont ceux qui courent après les reconnaissances et (circons­tances obligent) les voix. Comment résister à un sac de riz quand on a du mal à pourvoir aux besoins vitaux de sa famille ? Quand même ce qu’on appelle les PPN (Produits de première Nécessité) sont hors de portée des bourses ? Le ventre, qui réfléchit à la place de la tête, approuve le « bienfaiteur » qui le nourrit pour quelques semaines ou quelques mois et ne se pose pas la question qui devrait pourtant s’imposer : et après ? Le ventre satisfait sur le moment n’y songe pas : le « carpe diem » est encore trop loin. Chérissant la vie au jour le jour, on est parvenu à exécrer tout ce qui est solution à long terme : on aime les instants de petit bonheur éphémères et on plébiscite ceux qui nous en font cadeau. Pas étonnant si la situation stagne : à quoi bon se défaire des conditions favorables à l’emploi de ce moyen de séduction de masse ? Comme l’a dit Lao-Tseu : «Donne un poisson à un homme, et tu le nourris pour un jour. Apprends-lui à pêcher, et tu le nourris pour toujours». Les dons ponctuels, pourtant de plus en plus pratiqués par les politiciens et les associations caritatives, ne sont pas la solution. À méditer l’influence de Mgr Bienvenu, l’évêque de Digne dans Les Misérables, qui a métamorphosé Jean Valjean, le voleur dont le cœur était noirci par la rancune. par Fenitra Ratefiarivony
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