La légitimité des congrégations religieuses mise en question


Au XIXE siècle, les Églises chrétiennes prennent, à Madagascar, une importance grandissante liée à leur rôle considérable dans l’enseignement. Ce que l’administration coloniale n’est plus prête à leur accorder à la fin du siècle. En France, à la même époque, certaines ambigüités dans les rapports entre État et Églises sont soulignées : c’est l’époque où les tensions accumulées pendant des décennies éclatent et se transforment en anticléricalisme. D’après Pietro Lupo qui mène une étude sur Gallieni et la laïcisation de l’école à Madagascar entre 1896 et 1904, Jules Ferry, Waldeck-Rousseau, Émile Combes marquent une progression accélérée vers la rupture entre pouvoir politique et pouvoir religieux. Ils ont leurs homologues dans les pays voisins : Bismarck en Allemagne, Cavor en Italie, et par delà les nuances qui les différencient localement, « les états d’esprit et les problèmes de fond sont les mêmes : conflit entre raison et foi, entre libre-pensée et dogmes religieux ». L’inspecteur général des Colonies Picquié, qui veut « répudier la tutelle despotique de l’Église », trouve une formule précise dans son rapport adressé au ministre des Colonies, à la fin d’une mission dans la Grande île : « Il y a quelque simplicité à vouloir réunir deux choses aussi incompatibles que le sont l’un à l’autre l’esprit de la Révolution et l’esprit des Églises, et je crois qu’on ne saurait, sans duperie, laisser à une confession religieuse, quelle qu’elle soit, le soin de former des générations qu’on doit désirer empreintes des idées modernes et aptes au progrès. » Picquié « vise » la politique de Gallieni. Sur le plan de l’expansion coloniale, en effet, une collaboration « étonnante » se vérifie souvent entre les représentants du pouvoir politique et ceux des Églises, « du moins jusqu’à une certaine époque et dans certains pays ». Si en France, souligne Pietro Lupo, l’Église catholique est perçue comme une réalité qui menace la liberté de l’esprit et de l’État, dans les pays d’Outre-mer, elle est considérée comme «un moyen d’étendre l’influence française ». Dans la polémique sur les associations et congrégations religieuses, dans ses premiers discours à la Chambre, Waldeck-Rousseau développe l’idée –« qu’il renforce en affirmant ne pas être la sienne »- que de telles associations contiennent « autant de morts civiles qu’il y a d’adhésions données ». Ainsi, c’est la légitimité d’exister des congrégations religieuses qui est mise en question. Pourtant, tout cela n’empêche pas le ministre des Colonies, André Lebon, de donner un témoignage favorable sur l’une des associations interdites en France. En 1896, il écrit à Gallieni, récemment arrivé à Madagascar : « … Les services rendus par les missionnaires à notre cause à Madagascar (…) ne peuvent que leur mériter votre bienveillance. » En 1880, la commission chargée de présenter au Sénat le budget des Affaires étrangères, par son rapporteur Boulanger, propose de ne pas effectuer de diminution sur le service des écoles françaises de Syrie et du Liban, car « leur développement intéresse l’extension de notre influence nationale ». En citant les Lazaristes, les Jésuites et les Frères des écoles chrétiennes, l’orateur fait observer que« dans ces pays lointains, les divisions des partis n’existent plus. On n’y rencontre que des Français, dont la seule passion est l’amour de la France ». Gallieni entre à fond dans cette logique : « L’esprit laïc n’empêche pas l’utilisation, dans un but de domination, de ces mêmes groupes qu’on voudrait voir disparaitre dans la Métropole. » S’adressant aux pères lazaristes du Sud de Madagascar, le Général dira avec aisance: « Je compte sur vous pour faire pénétrer dans le Sud, l’esprit français. » Et à l’évêque jésuite Cazet, directeur de la Mission dans l’Imerina et dans le Betsileo : « … L’œuvre de patriotisme que vous poursuivez depuis de longues années à Madagascar, a donné des résultats dont la Colonie a profité et vous est reconnaissante. » Ce qui va alimenter « les illusions et la naïveté » des catholiques dans la Grande ile pendant quelque temps. Avec l’arrivée de la France, « une nouvelle ère catholique commence pendant laquelle l’ile africaine sera enfin débarrassée de la protestante Angleterre ». Le père Delpech, directeur d’une grande école d’Antana­narivo, écrit au lendemain de l’arrivée de Gallieni : « La politique du général Gallieni a une tout autre tournure que celle de son prédécesseur. Elle nous sera favorable et j’espère que la France y gagnera (…) Je n’exagère pas en vous disant qu’une nouvelle ère commence pour Madagascar. » Selon Pietro Lupo, les premières lignes de ce passage font allusion au premier résident général, Hippolyte Laroche- « protestant plus ou moins anglophile »-. Le départ de ce dernier est un soulagement pour les dirigeants catholiques, l’arrivée de Gallieni providentielle. « … Depuis le départ de ce protestant, nous sommes entrés en plein dans la voie d’une colonisation vraiment chrétienne. » Le général Gallieni, croit l’évêque Cazet, « inspire à tous une grande confiance ».
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