Au-delà des manuels scolaires


Ce qu’on nous apprend dans les manuels scolaires n’est décidément pas suffisant. Je me souviens de vagues allusions au 29 mars 1947. J’ai quelque souvenir des noms de Ravoahangy, Raseta, Rabemananjara. Et comme tout le monde, de l’histoire du wagon de Moramanga. Déjà, c’est le 6 avril 1947 que les prisonniers avaient été mitraillés dans les wagons de Moramanga. Le 29 mars correspond à la date de l’attaque malgache du camp français. Il m’aura fallu quarante ans pour l’apprendre. Sans doute parce que, comme de trop nombreux anciens écoliers et futurs citoyens adultes, je n’y ai pas été suffisamment intéressé... La commémoration de ces évènements de 1947 m’a toujours semblé trop encombrée par les souvenirs hésitants de témoins occulaires à la mémoire de plus en plus approximative, à mesure qu’on s’éloigne de 1947. Bien sûr qu’il faut respecter un traumatisme par contre bien réel. Comme écrit Jean Fremigacci : «en zone insurgée l'instruction des procès des “rebelles” fut souvent menée par des auxiliaires maniant le nerf-de-boeuf entouré d'un fil de fer barbelé. Après plus d'un demi-siècle, les survivants montrent des cicatrices accusatrices». Contre les superlatifs de la propagande (surtout communiste à l’époque), Jean Fremigacci fait un point d’ordre : « Le nombre de victimes civiles européennes fut en réalité très réduit: 140 en tout, sur 35.000 résidents. Sauf exceptions, les insurgés épargnèrent les femmes et les enfants (...) Reste le bilan de l'insurrection : l'estimation de 80.000 à 100.000 morts, qui est généralement avancée, ne repose sur rien. Faute de la moindre preuve (...) Inversement, il n'est pas douteux que le recensement de 1950, en décomptant 11.342 victimes, a abouti à une sous-évaluation. Il convient, pour approcher une valeur fiable, de distinguer deux groupes. Le premier, qu'on peut cerner approximativement, est celui des morts violentes : 2.000 Malgaches victimes des insurgés, de 5.000 à 6.000 de ces derniers tués par les forces coloniales, le total n'atteint pas 10.000 morts. Le second groupe est celui des « morts de misère physiologique » - de malnutrition et de maladie - dans les zones refuges. Cette surmortalité reste encore très difficile à évaluer, l'hypothèse la plus vraisemblable tournant autour de 20 000 à 30 000 morts». Au-delà de la commémoration annuelle qui, paradoxalement, fait oeuvre d’amnésie historique, tant de questions attendent encore une réponse. Et la complexité des relations personnelles entre les figures du nationalisme malgache de ces années 1915-1948, période comprise entre l’arrestation des membres du V.V.S. (Vy, Vato, Sakelika) et le procès des parlementaires (mais pas qu’eux) du M.D.R.M. (Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache), mérite qu’on s’y attarde : comment s’entendaient le pasteur Ravelojaona et Ravoahangy d’une part ; jusqu’où pouvaient s’entendre Ravoahangy et Raseta d’autre part. Par exemple. Le travail de Lucile Rabearimanana sur «La presse d’opinion à Madagascar de 1947 à 1956» laissait déjà deviner une complémentarité objective sans plus d’aménité. Les archives des journaux, mis à disposition par l’association Ilontsera, affichent cette rivalité à la Une. La suite de leur biographie électorale respective le confirmera : nos manuels scolaires, en associant chaque fois leur nom, ont pu laisser croire qu’ils étaient indéfectiblement unis et solidaires. Première idée reçue mise à mal. Pour aller au-delà des manuels scolaires : Exposition «Trait-d’Union / Tsipi-Panohizana» (Hall du Ministère des Affaires Étrangères, Anosy, jusqu’au 6 avril). Par Nasolo-Valiavo Andriamihaja
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