Mauvais procès


Un coup de massue. Pour avoir proféré des propos jugés déplacés et inacceptables dans un pays où la culture veut que tous les morts soient des saints et méritent tous les éloges funèbres, une candidate à l’élection présidentielle, magistrat de son état a été suspendue illico presto par la ministre de la Justice. Enseignante de la petite peste à l’École nationale de la magistrature, la ministre sait mieux que quiconque ce qu’elle fait. Le fait est que la candidate Faniry Ernaivo a pris une disponibilité à partir du moment où elle s’est alignée dans la course à la présidence. La nature de la sanction ainsi que la célérité avec laquelle elle a été prise ont ainsi de quoi surprendre. La faute est plus morale que professionnelle mais la sanction est administrative. Autant Faniry Ernaivo a agi sous le coup de la colère pour avoir été bousculée et malmenée par les forces de l’ordre avant le meeting de Mahamasina, autant la ministre a répliqué du berger à la bergère sans soupeser sa décision. La police a déposé une plainte contre le magistrat, on aurait peut-être dû attendre la suite du procès. À un abus de langage s’oppose un abus d’autorité. Faniry Ernaivo a eu le tort de dire de manière crue sans prendre des gants dans des circonstances douloureuses des réalités tout aussi crues que la population vit au quotidien. Mais dites de manière sage et modérée, elles n’ont jamais fait sourciller justement les autorités. On aimerait bien voir la même célérité de la sanction dans les affaires d’une plus grande gravité dont les forces de l’ordre, en général, et la police, en particulier, ont été les auteurs. Des affaires de meurtre et de torture classées vraisemblablement sans suite par la Justice. Une Justice totalement impuissante quand des policiers ont tué un magistrat et refusaient de comparaître. Une Justice qui a justement perdu toute son autorité face aux forces de l’ordre sensées lui obéir mais qui lui tiennent tête depuis que l’armée, la police et la gendarmerie ont leur propre ministre. Le dérapage regrettable de Faniry Ernaivo doit-il servir d’écran de fumée pour masquer tous les abus commis par les forces de l’ordre dont des exécutions sommaires sur des personnes sans armes ? Elle a au moins le mérite de mettre le doigt dans l’œil sur des faits que les victimes ne peuvent pas dénoncer, faisant souvent l’objet de menaces. La sanction paraît, en tout cas, trop sévère quand on sait que beaucoup de magistrats mouillés dans des affaires de corruption et de kidnapping n’encourent aucun risque. C’est bien de sanctionner mais un mauvais procès n’a jamais honoré la Justice. C’est d’ailleurs la source du lynchage et de la justice populaire. Les lynchages existent bien avant l’appel fait par Faniry Ernaivo. Et ce n’est pas sa suspension qui va juguler l’hémorragie. En revanche, les abus vont avoir des ailes débarrassés d’un juge gênant qui a la langue bien pendue.
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