Bemiray - Civilisation - La littérature orale


Tom Andriamanoro consacre une bonne partie de sa chronique hebdomadaire sur le rôle des Mpihira Gasy et des griots africains dans la transmission des valeurs des peuples à travers les générations, mais également la fuite de la civilisation par les Mikea du Sud malgache et les Sentinelles de la Baie du Bengale. Il rappelle aussi, en guise de devoir de mémoire, la libération du camp d’Auschwitz, le 27 janvier 1945. [caption id="attachment_75505" align="alignleft" width="300"] Les Mpihira Gasy sont à la fois acteurs, sensibilisateurs et éducateurs à travers leurs Kabary, chants et danses.[/caption] À Madagascar comme dans toute l’Afrique, « la littérature orale est une part importante de la culture des peuples, qui permet de toucher au cœur même de cette culture ». Telle est l’une des conclusions à laquelle est parvenue l’AUPELF, qui regroupe les universités partiellement ou entièrement de langue française, lors d’un congrès tenu il y a déjà quarante ans à Strasbourg. Elle constitue un véritable patrimoine qui mène à l’identité de ces peuples, et est une des plus importantes sources à laquelle s’abreuve leur littérature écrite. Ce patrimoine culturel est des plus précieux. Il a une valeur universelle, car il révèle l’homme de tous les temps avec ses défauts, ses qualités, ses aspirations, en un mot tout ce qui concerne la condition humaine. Pour Tchicaya U Tam dans ses Légendes africaines, il n’y a pas de meilleure initiation à la vie : « Il ne m’est pas difficile de me souvenir des veillées d’enfance qui furent, en fait, la première école que j’ai fréquentée. Les légendes enseignaient à être brave, les contes à mieux se conduire, les devinettes et les proverbes à savoir tenir une conversation, dans une certaine mesure. C’est sous l’arbre à palabre, fromager ou manguier, que s’apprenait le reste : le grand savoir ». Qui véhicule cette littérature orale ? À Madagascar,on pourrait citer les Mpikabary, indissociables de toutes les grandes circonstances de la vie, mais aussi les « Mpihira Gasy qui peuvent se suffire du moindre terrain vague pour transmettre la sagesse immémoriale des ancêtres. En Afrique, un personnage est au centre même de la littérature orale: le griot, qui tient ce rôle de convoyeur oral des valeurs morales, tout en y associant celui d’amuseur. Le griot est un narrateur, certes, mais ses récits sont une création et une recréation continuelles, opérées avec la participation active de l’auditoire. C’est dire le caractère éminemment poétique de cette littérature. L’abbé Henri Grégoire trouve une certaine analogie entre les griots africains et les trouvères et troubadours français, les minnesänger allemands, ou encore les ménestrels écossais. Car en plus d’éduquer le petit peuple, « les griots vont aussi chez les rois faire ce qu’on fait dans toutes les cours ». Le griot comme le « mpihira gasy » a une mission sacrée qui consiste à transmettre, de génération en génération, le patrimoine précieux que constitue la sagesse des ancêtres, lesquels sont pour ainsi dire immortalisés. « L’Afrique Noire, faute d’écriture, a cristallisé sa sagesse dans sa littérature orale. Et chaque conteur, chaînon ininterrompu d’un long passé, essaime la sagesse des Anciens. Il la confie à ceux qui veulent en profiter et au vent qui l’emportera de par le monde, car la sagesse n’est pas un bien que l’on conserve pour soi seul. Et c’est se survivre que de dispenser sa sagesse » (Bernard Dadié, dans Le rôle de la légende dans la culture populaire des Noirs). Le griot est un personnage aux dons multiples, une sorte de virtuose qui excelle dans le mime. Il ne se contente pas de raconter les histoires, il leur donne vie. C’est un véritable acteur qui fait parler et vivre ses héros. [caption id="attachment_75504" align="alignleft" width="300"] Le griot est un artiste qui a un rôle de convoyeur oral des valeurs morales.[/caption] Porteur de messages À chacun ses particularités, la troupe de Mpihira Gasy , pour sa part, rassemble autour de l’orateur principal des chanteurs, des musiciens, des danseurs, lesquels forment un tout en contribuant, dans leurs spécialités respectives, à faire passer le même message. Senghor n’exagérait pas quand il confiait à André Malraux : «Même en Amérique, les Noirs dansent leur vie. » Le griot est l’incarnation de l’âme africaine. En tant que musicien, il prend plaisir à se livrer à toutes sortes de variations ou d’improvisations à partir d’un certain thème. En tant que conteur il n’agira pas autrement, puisqu’il se permettra de modifier son récit et d’y introduire des éléments nouveaux. On peut parler de « poésie », mais en restituant à ce mot le sens que lui donne la voix autorisée de Senghor quand il disait : « Je persiste à penser que le poème n’est accompli que s’il se fait chant, parole et musique en même temps. » Avec les progrès de la civilisation technicienne, les vieilles traditions tendent à se perdre. C’est dire la nécessité de sauver la littérature orale de l’oubli en la fixant par écrit. Mais il n’y a pas à se le cacher, ce passage de l’oral à l’écrit présente des inconvénients : la littérature orale va se trouver fixée une fois pour toutes, figée pour ne pas dire fossilisée. Il n’y aura plus cette impression spontanée de vie intense que produit tout spectacle. Du même coup, le peuple analphabète se retrouvera privé de l’unique moyen dont il dispose pour accéder à la culture. Comme l’observait Thomas Melone, « l’introduction des littératures écrites a transformé les rapports entre l’auteur et le peuple, en le dépossédant des privilèges qu’il détenait dans l’ancien système : privilège de participer, privilège de jouir esthétiquement, privilège de confronter l’œuvre avec la vie ». Autrement dit, un divorce risque de se produire quelque part. [caption id="attachment_75503" align="alignleft" width="300"] Des ouvriers nigériens réhabilitent une route en prévision
d’une réunion des grandes puissances sur l’aide en Afrique
et le changement climatique.[/caption] Rétro pêle-mêle On est à la mi-2007 et la question se pose : où en est-on des fameux Objectifs du Millénaire qui alimentent le discours des nantis en attendant de garnir l’écuelle des pauvres ? On retiendra notamment la réduction de moitié de l’extrême pauvreté, la généralisation de l’éducation primaire, le recul de la mortalité infantile, ou la lutte contre le Sida. Le premier objectif devrait être atteint à l’horizon 2015 par les pays à forte croissance comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. Comme d’habitude, l’Afrique subsaharienne se retrouvera à la traîne … La réalisation des Objectifs du Millénaire passe par un financement du développement. Les grands pays se sont engagés à affecter 0,7% de leur PIB à l’aide au développement. Seuls la Suède, le Luxembourg, le Danemark, et les Pays-Bas ont atteint ce niveau. Il semblerait que la France soit, avec l’Allemagne et l’Autriche, un des pays qui gonflent le plus leur aide publique. Si on décortique en effet son aide réelle en termes de part du PIB, le compteur coince à 0,3% au lieu des 0,45 affichés officiellement… Aux États-Unis, les parlementaires adoptent une loi réduisant leurs privilèges : plus de voyages en avion à la charge de grosses sociétés ou de passe-droits aux spectacles et aux matches, finies également les virées golfiques en Ecosse. Le jour et la nuit avec certains pays africains comme le Kenya où l’on s’inquiète de voir le Parlement mener le pays à la banqueroute, d’autant plus qu’un projet d’augmentation du nombre de députés est en gestation. [caption id="attachment_75507" align="alignright" width="300"] Une vue aérienne prise le 22 septembre 2018 des Iles Andaman, dans la baie du Bengale.[/caption] Sociétés humaines - L’homme : foncièrement bon ou mauvais ? Il a déjà été donné à cette chronique de parler des Mikea, ce groupe humain qui a choisi de vivre en dehors de la civilisation dans sa forêt d’épineux au nord de Toliara. Leur particularité ? Celle d’être les seuls êtres humains à vivre sans eau, pour la simple raison qu’elle n’existe pas chez eux, à part ce qui reste de quelques maigres pluies laissant d’éphémères petites mares infestées de microbes. La base de leur alimentation est le « baboho », une igname poussant dans le sable dont le goût rappelle la pastèque, et est à la fois leur pain et leur eau. Les Mikea sont des gens pacifiques que l’ethnologue-cinéaste Jean-Pierre Dutilleux a pu approcher, et qu’il classe parmi les « peuples premiers » au même titre que les Toulambi d’Indonésie, les Mursi d’Ethiopie, ou les Kayapo et les Porturu d’Amazonie. La principale figure mondialement connue des peuples premiers est le chef Raoni des Kayapo, que Dutilleux et le chanteur Sting emmenèrent en 1989, dans une tournée internationale de sensibilisation contre la déforestation. C’est là un fléau bien connu également des Mikea, dont la forêt recule à vue d’œil devant les agriculteurs et les charbonniers. Ainsi va durement la vie pour ce peuple qui n’a jamais rien demandé à personne, et dont on parlera un jour au passé… Autres peuples, autres mœurs. On les appelle les Sentinelles, et ils vivent en autarcie sur l’île d’Antaman El Nicobar que le gouvernement indien interdit d’approcher à moins de cinq kilomètres. Hostile au monde extérieur, cette tribu considérée comme la plus isolée de la planète, exécute sur le champ quiconque pose le pied sur son île. C’est ce qui est arrivé à deux pêcheurs indiens dont la barque avait dérivé pendant leur sommeil. Un ressortissant américain de 27 ans, du nom de John Chau, a connu la même fin le 16 novembre dernier. Il avait soudoyé des pêcheurs pour l’amener jusqu’à l’île, mais ceux-ci sont prudemment restés à distance, laissant l’Américain accoster seul à la nage. À peine arrivé, il reçut une volée de flèches, mais continua à marcher jusqu’à s’écrouler sur le sable. De loin, les pêcheurs virent les Sentinelles passer une corde autour du cou de leur victime. Ils eurent quand même le courage de revenir le lendemain au petit matin pour récupérer le corps. Selon l’ONG « Survival International » qui œuvre dans la protection des tribus autochtones, les Sentinelles descendraient des premières populations à être parties d’Afrique il y a de cela des milliers d’années. Le gouvernement indien a vainement tenté des rapprochements à plusieurs reprises, mais a fini par y renoncer. [caption id="attachment_75506" align="alignleft" width="300"] Durant la seconde guerre mondiale, l’arrivée de femmes et d’enfants au camp d’extermination d’Auschwitz.[/caption] Mémoire - Il y a 74 ans, Auschwitz Le 27 janvier 1945, était libéré le tristement célèbre camp d’extermination d’Auschwitz en Pologne. La charge émotive de cette date est tellement forte qu’elle a été retenue pour commémorer chaque année le massacre des Juifs par les nazis. Certaines personnalités politiques persistent à nier l’existence des chambres à gaz, pour ne citer que l’ancien président iranien Ahmadinejad ou certains milieux de l’extrême droite française. Ce déni de la vérité historique avait en son temps été condamné par l’Assemblée générale des Nations Unies, qui appela tous les États à rejeter toutes les formes que pourrait prendre l’antisémitisme. Ce que l’Histoire a aussi retenu, c’est qu’à un certain moment Hitler envisagea de faire de Madagascar un lieu de déportation de tous les Juifs d’Europe. L’idée n’aurait peut-être pas déplu à ceux qui sont convaincus d’une origine juive des Malgaches… Lettres sans frontières - Il etait une fois le conte Un jour, le conte convoqua les journalistes des villes et des forêts pour une conférence de presse tout à fait inattendue. Quelque part en Afrique. Les murs ont plein d’oreilles en forme de microphones dissimulés partout-partout. Le conte est un de ces citoyens subversifs qu’il faut toujours avoir à l’œil. Et à l’oreille. Avec sa tête farcie matin farcie midi farcie le soir de révolutions latentes. De coups d’État en herbe. De fulminantes colères du peuple à mettre en branle dès la prochaine injustice du président de la République militaire. « Mesdames et messieurs, je vous ai réunis ici aujourd’hui pour vous parler de moi. » Il fait une pause afin d’observer la réaction de ses très nombreux interlocuteurs. La salle est en effet, pleine de monde. Hommes, femmes et animaux de toutes les branches de l’information et de la communication. Le conte veut montrer à toute la presse écrite, parlée, sifflée, chantée, filmée, photographiée ou photocopiée, qu’il n’a pas dit son dernier mot. Alors, devant leur silencieuse hésitation, le conte leur propose une démonstration à sa façon. Il voulait prouver qu’il était capable d’abandonner le carrosse de Cendrillon pour rouler en Rolls Royce comme tout un chacun. Même par temps de crise économique mondiale. Et d’accepter que l’animal soit parfois plus intelligent que l’homme. C’est ici que commence la révolution : Un jour le lièvre dit au commerçant de la ville voisine : « Vends-moi à crédit ce magnétoscope que mes enfants ont vu dans la vitrine de ton magasin. » Le commerçant répond : « Signe-moi ce papier, et chaque mois je ferai à ta banque un prélèvement sur ton compte. » Le lièvre est plus malin que le commerçant. Comme ce dernier ne connaît pas l’alphabet des animaux, il lui est impossible de remarquer que son client a signé du nom d’un de ses voisins, absent du pays depuis plusieurs années.
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