Une histoire au premier degré


Un type a partagé une histoire invraisemblable sur les réseaux sociaux : l'effondrement du tunnel d'Ambanidia. La scène créée de toutes pièces est relayée, les uns par crédulité, les autres parce qu'ils ont compris la blague et voulaient faire un canular, eux aussi. Dans ma vie très ordinaire, j'appelle ça une plaisanterie de très mauvais goût. Ce n'est pas le premier canular que l'on reçoit et ce ne sera sûrement pas le dernier. En pareil cas, on se rend compte qu'on s'est fait piéger, on rit de sa propre naïveté et on revient vaquer à ses occupations. Du moins, c'est ce qu'il se fait, dans ma vie très ordinaire, où on a d'autres situations extraordinaires à affronter : enlèvements d'enfants, insécurité très galopante, kidnapping très inquiétante, pauvreté très persistante, pour ne citer que les faits les plus flagrants. Embouteillages, délestages, vols à la tire, ivrognes sur place publique, pour les plus courants. Mais apparemment, prendre chaque chose au premier degré est un sport national. Ce qui était un canular prend une tournure polémique, épique, extravagante. On s'étouffe d'indignation, on fait appel à une sanction exemplaire et on se réjouit de ce que l'interpellation du plaisantin ait été aussi prompte. Mais il n'y a pas eu mort d'homme, il n'y a pas eu humiliation publique, ni incitation à la violence ou à la haine raciale, ni scènes de panique - certes, une foule qui s'attroupe et un haut personnage qui se déplace, mais c'est si commun, ces derniers temps (sans ironie, bien sûr). L'expression «trouble à l'ordre public» a été évoqué pour le cas du blagueur... mais à la tournure des évènements, ce n'est plus un trouble à l'ordre public mais un public à l'ordre troublant. Aujourd'hui, un homme est interpellé pour un canular un peu cucul. Demain, un autre le sera pour avoir ouvert la bouche, tandis que des millions se féliciteront de l'avoir fermé. L'argument massu étant «la loi dit que». La loi dit aussi que nous avons le droit de vivre en paix et le bon sens dit de ne pas s'emporter pour trois fois rien. À travers cette tempête dans un verre d'eau, on ne peut que constater la tristesse de ce pays, au propre et au figuré. Triste, par un désespérant manque d'humour. Triste, par une affolante perte de valeurs, de proportions et de priorités. Mais encore plus triste, de voir la réaction détestable de certains internautes qui lâchent fiel et bile, presque soulagés de trouver quelqu'un sur qui lâcher sa charge de glaire nerveuse. Tant de haine, tant de violences gratuites, tant d'agressivité pour un prank. En valait-ce la peine ? Que l'histoire inventée de toutes pièces fut relayée par des centaines d'autres personnes n'est que le seul reflet de notre société, encline à s'emparer «d'on-dit», à gonfler les rumeurs et à user d'hyperboles qui affectent les proportions. Une propension que l'usage d'internet et des réseaux sociaux a porté à une petite apogée et ne cessera pas de prendre de l'ampleur, ici ou ailleurs. Aux profession­nels de recouper les informations et à chacun de cultiver son sens de l'humour ou son sang froid. Ceci étant : j'aurais une pensée amie pour le 1er avril, ce doit être un jour de grand rush, non ? Puisque tous les farceurs du monde seront de sortie. Par Mialisoa Randriamampianina
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