Bemiray - « Pour que la mer ne soit plus la limite de notre rizière »


« Halal » désigne tout ce qui est autorisé par la charia, la loi islamique. Cela ne concerne pas seulement la nourriture et les boissons, mais également les habitudes de vie, la « morale musulmane ». On en parle  dans le Bemiray de ce jour. Quant à la réconciliation, c’est comme un serpent de mer. Enfin, les pince-sans-rire diraient  qu’heureusement, on n’avait pas vendu l’eau du Mananara, vu la sécheresse actuelle ! Genre de vie - Le marché Halal, une tradition toute neuve Non, le marché Halal ne remonte pas à la grande époque de La Mecque et de Médine, il n’a pas 1 400 ans d’âge, et les caravaniers n’en faisaient pas une condition pour leur commerce. Il ne relève ni d’une tradition culturelle, ni de quelque rituel religieux, que l’on se détrompe. Au risque de froisser certains fondamentalistes, osons lui donner, sinon une date précise, du moins une période assez bien cernée pour sa naissance : les années 70 et 80 qui voient paradoxalement l’émergence d’un Islam politique et le triomphe du néolibéralisme. Ces deux courants, a priori très loin l’un de l’autre, vont se trouver un terrain d’entente, puisque tout se vend et tout s’achète. Aujourd’hui, le marché Halal pèse 1 300 milliards de dollars et est implanté dans pratiquement tous les pays. Même Marine Le Pen finit par reconnaître en 2012 que « tout le monde mange Halal ». On connait pourtant ses antipathies, et tant pis pour Jeanne d’Arc… [caption id="attachment_19258" align="alignleft" width="185"]À l’origine du marché « Halal » se trouve l’antagonisme entre l’Iran chiite et l’Arabie Saoudite sunnite,  exaspéré par l’Ayatollah Khomeiny. À l’origine du marché « Halal » se trouve l’antagonisme entre l’Iran chiite et l’Arabie Saoudite sunnite,exaspéré par l’Ayatollah Khomeiny.[/caption] Comment en est-on arrivé là   À la source se trouvent deux pays faits pour ne jamais s’entendre : l’Iran chiite et l’Arabie Saoudite sunnite. En Iran, l’Ayatollah Khomeiny interdit l’importation de viande venant des pays « mécréants », mais s’aperçoit bien vite des problèmes de pénurie que cela lui causera au sein de sa propre population. Qu’à cela ne tienne, il demande à ses principaux fournisseurs, dont la Malaisie et l’Australie,d’« islamiser » leur protocole d’abattage. Quant à l’Arabie Saoudite, elle va imposer aux abattoirs occidentaux la présence de contrôleurs et de certificateurs agréés, un poste qui sera bien vite convoité par des associations musulmanes pour donner à cette mesure le vernis religieux nécessaire. D’autres pays comme l’Égypte suivent le mouvement. Les industriels n’y voient aucun inconvénient d’autant plus que les affaires sont les affaires, et que le contrôle imposé n’est pas si coercitif. C’est, par exemple, à peine si les importateurs exigent un abattage « Halal » sans l’étourdissement préalable auquel tiennent les associations occidentales de protection des animaux. Une mode 1997 est une date importante pour le Halal, puisque cette année voit la publication par le Codex Alimentarius de directives plus précises concernant la circulation des produits Halal, lesquels obtiennent la reconnaissance de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La Malaisie se trouve derrière cette avancée notoire qui fait d’elle un spécialiste de l’« ingénierie » Halal grâce au concours des techniciens de…Nestlé et de leur maîtrise de la filière agroalimentaire. Parmi ces normes figure le principe de pureté industrielle, excluant d’office du label tout produit contaminé par des substances comme l’alcool, le porc, les additifs, les conservateurs, ou encore les colorants. Il y aura même, désormais, une eau Halal, embouteillée dans un environnement censé être exempt de toute pollution. Le marché Halal en retirera des avantages sans précédent puisque, c’est bien connu, tout interdit génère souvent une gamme de solutions de rechange… Une structure autrement plus puissante que les simples contrôleurs commence à s’imposer. Il s’agit de l’Agence de consommateurs musulmans dans laquelle s’impliquent de plus en plus les mosquées. Les difficultés économiques finissent par avoir raison de l’engagement de la Malaisie qui cède le leadership aux Émirats et à leur puissance financière. Ils lancent  un argument taillé à leur mesure, comme quoi « le Halal ne peut être fabriqué qu’avec de l’argent Halal ». À Londres comme à New York, des financiers et des spécialistes du marketing travaillent à étendre, non seulement « le » produit, mais également un style de vie Halal dont le burkini tant controversé est un exemple parmi d’autres. À la fin des années 2000, l’Organisation de la coopération islamique (OCI) s’implique à son tour, et fait le lien entre ce marché et ses statuts. Le Halal n’est-t-il qu’une mode appelée à passer   Il semblerait que non, puisque les courants les plus fondamentalistes de l’Islam sont parvenus à en faire un vecteur efficace. Dans les pays occidentaux, des parents refusent d’inscrire leurs enfants à la cantine scolaire, et leur recommande de ne pas partager goûters et bonbons avec les « autres ». Le phénomène est mondial, aussi abstenez-vous de poser des questions qui le dépassent au petit boucher de votre quartier qui se dit « Halal ». Il vend du bon zébu, et c’est tant mieux pour tout le monde. [caption id="attachment_19259" align="aligncenter" width="300"]Madagascar ne manque pas de cours d’eau, à condition qu’il ne soit pas  à l’étiage. Madagascar ne manque pas de cours d’eau, à condition qu’il ne soit pas
à l’étiage.[/caption] Un projet tombé à l'eau -  Quand Madagascar voulait « vendre » le Mananara  On ne le répètera jamais assez : le développement de Madagascar sera écologique ou ne le sera pas. Tout le reste n’est que leurre électoraliste. La boutade du sommelier d’eau Martin Riese rapportée dans ces colonnes est de celles à ne pas oublier : « Quand il n’y aura plus d’eau, vous pourrez toujours essayer de boire de l’essence ». Il n’y a pas longtemps de cela, Madagascar pliait devant l’appât d’un gain facile en décidant de vendre de l’eau à la compagnie canadienne Aquamar. C’était en 2006, et concernait celle du fleuve Mananara. Le projet devait permettre au pays de « boire du dollar » pendant 25 ans, après les deux ans nécessaires à la construction des infrastructures. Le système est des plus simples, du moins sur les planches des techniciens : l’eau, évaluée à un dixième du débit d’étiage, est prélevée par un pipeline souterrain et acheminée par un autre pipeline en mer, où les tankers la récupèrent avec pour destination les pays chroniquement assoiffés du Golfe Persique. Les coûts totaux de l’opération étaient classés top secret, suivant une tradition perpétuée jusqu’à ce jour car « tsy hita izay maharatsy azy ». Rien en tous cas n’a transpiré lors de la présentation du projet par la présidente d’Aquamar Johanne Laplante. Le prix unitaire de l’eau a quand même été dévoilé : 1,25 dollars américains pour 1 000 gallons d’eau douce. Pas bésef ! Si le gallon pris en compte par le référencier international est généralement le gallon américain (équivalant à 3,785 litres), pour ce cas précis, Aquamar est parvenu à imposer le britannique et par extension le canadien, dont l’équivalent de 4,546 litres ne pouvait qu’être à son avantage. L’étude d’impact environnemental a été déposée auprès de l’Office National de l’Environnement chargé de veiller sur la conformité des projets industriels, surtout d’une certaine envergure, aux lois sur l’environnement, notamment au décret MECIE (Mise en conformité des investissements à l’environnement). Il revient, notamment, à cet organisme de peser les impacts à appréhender sur l’exceptionnelle biodiversité de cette partie Nord-Est de l’île. Les paramètres incluent, notamment, une consultation des populations locales, une taxinomie très pointue des espèces animales et végétales avec, au besoin leur relocalisation, et bien d’autres investigations scientifiques et environnementales. La décision d’accorder l’autorisation d’exploitation doit normalement attendre le permis environnemental octroyé par l’ONE, ce qui n’a pas été le cas puisque la signature de la « vente », qui s’apparentait presque à une braderie hors saison, a été effectuée d’une manière inexplicablement précipitée : elle portait sur 230 millions de litres d’eau par jour, pour un montant approximatif de 25 millions de dollars de revenus pour l’État malgache… [caption id="attachment_19260" align="aligncenter" width="300"]Jusqu’à ce jour, l’initiative du FFKM entamé au CCI Ivato en décembre 2014- janvier 2015 a accouché d’une souris. Jusqu’à ce jour, l’initiative du FFKM entamé au CCI Ivato en décembre 2014- janvier 2015 a accouché d’une souris.[/caption] Réconciliation - Aimez-vous les uns les autres Madagascar est le beau pays d’une belle légende appelée « Fihavanana » dont il ne reste plus grand-chose, sauf des paroles creuses. Et peut-être aussi son initiale que les quatre grandes Églises se sont évertuées à multiplier par quatre, pour lui donner une chance de survie : « Fieken-keloka, Fibebahana, Fahamarinana, Fihavanana », ce sont là les  jalons en quatre « F » du cheminement vers la réconciliation nationale, version FFKM. On les accueillit comme parole d’Évangile, mais c’était mal connaître la faune politicienne malgache: qui reconnaîtrait publiquement ses torts, et qui s’en repentirait tout aussi publiquement   Ce serait un pur « Famonoan-tena », un cinquième « F » malvenu en forme de couperet dont personne ne voudrait. Et tout le monde d’accuser le FFKM de se mêler de ce qui ne le regarde pas, alors que la réconciliation est une de ses raisons d’être, un passage obligé pour espérer approcher Dieu : « Si tu viens présenter ton offrande à l’autel, et que là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, et va d’abord faire la paix avec ton frère. Puis reviens, et présente ton offrande à Dieu » (Matthieu 5 : 23-24). Cela ne dédouane pas pour autant les hommes d’Église de leurs errements et de leurs échecs, puisqu’eux aussi, ou certains de leurs membres, ont, de toute évidence, été instrumentalisés. Le grand rendez-vous d’Ivato soi-disant pour la réconciliation nationale qu’ils ont monitoré n’a-t-il pas tourné au bénéfice d’une seule et unique personne   Une fois de plus, le pays, principal concerné, était oublié. Et pourtant sous d’autres horizons, le processus a bien fonctionné. En Tunisie par exemple, lors des audiences publiques de l’Instance Vérité et Dignité, les victimes d’abus commis entre 1955 et 2013 ont pu s’exprimer librement. « Si mes tortionnaires m’écoutent et reconnaissent la véracité des faits que je décris, qu’ils viennent, qu’ils répondent à mes questions, et je leur pardonnerai ». [caption id="attachment_19261" align="aligncenter" width="300"]La Commission Vérité  et Réconciliation sud-africaine,  instituée en 1995 et dirigée  par Desmond Tutu, est la référence  en matière de réconciliation nationale. La Commission Vérité
et Réconciliation sud-africaine,
instituée en 1995 et dirigée
par Desmond Tutu, est la référence
en matière de réconciliation nationale.[/caption] Cynisme Ainsi parlait Saïd B., enseignant-chercheur, qui passa huit ans dans les geôles de Ben Ali. Les dépositions de Rached G., de Hamma H., de beaucoup d’autres, et surtout des mères qui ont perdu un fils lors du « Printemps » de 2011 étaient tout aussi émouvantes. Une épouse, pour sa part, a, pendant des années, apporté du linge propre à son mari en prison, sans savoir que celui-ci a depuis longtemps été battu à mort dans un commissariat. Comme cynisme il est difficile de faire mieux… L’Instance Vérité et Dignité a jusqu’à la fin 2019 pour instruire les quelque 65 000 plaintes reçues. Avant les audiences publiques elle a déjà procédé à plus de 11 000 auditions privées, et n’a pas hésité à faire appel à des compétences particulières comme des avocats, des historiens, des sociologues, ou encore des psychologues. L’audition des présumés coupables est aussi programmée en toute transparence. Au Maroc, le roi Mohammed VI a, pour sa part, créé l’Instance Équité et Réconciliation peu après son avènement pour faire la lumière sur certaines zones d’ombre de l’ère de son père, pendant laquelle 20 000 victimes ont été identifiées. L’initiative était louable d’autant plus qu’elle étendait son champ d’action jusqu’aux crimes économiques, aux détournements, aux trafics d’influence. Mais l’instance dont le mandat s’est achevé en 2005 n’a pu aller au bout de ses intentions : le roi est mort, vive le roi… Au Rwanda, des milliers de tribunaux communautaires ont été mis en place entre 2001 et 2005. Les suspects d’implication dans le génocide, mais qui ont exprimé leurs remords lors des séances publiques, ont pu voir leurs peines commuées en travaux d’intérêt général. Mais la référence en la matière  reste la Commission Vérité et Réconciliation sud-africaine, instituée en 1995 à l’accession de Nelson Mandela à la tête du pays, et dirigée par Desmond Tutu. Elle a pu accorder l’amnistie aux accusés pour une longue période remontant au massacre de Sharpeville de 1960, en échange de leur confession publique. À Madagascar enfin, et pour ne pas changer les bonnes habitudes, certains suent de tous leurs pores pour faire de la réconciliation nationale une machination politique. Qui saura la dénaturer aura la potion magique permettant de devenir « fort comme un turc ». Et pas n’importe lequel… BE6Rétro pêle-mêle Quand les paysans, les opérateurs, et les universitaires se rencontrent, cela donne la Foire Fahazavana 2003 qui s’est tenue en juillet de cette année à Analavory. Cette manifestation qui coïncida avec l’électrification de cette ville… campagnarde a vu la participation de 26 fokontany. Une association de paysans dénommée « Tantsaha vonona », encadrée par des universitaires, a été la révélation de cette manifestation. La formule est apparemment gagnante, puisqu’elle permet aux paysans de bénéficier d’une recherche plus vaste de débouchés aussi bien sur le marché local qu’international grâce au net. L’utilisation des engrais est bien contrôlée pour éviter la détérioration du sol, elle est précédée d’une analyse des terrains et d’une étude des cultures adéquates. Last but not least, les universitaires inculquent aux paysans la volonté de ne plus attendre l’aide de l’État, et d’entreprendre le développement de leur région par leurs propres moyens. La Chambre de commerce, d’industrie, d’agriculture et de l’artisanat d’Antananarivo a également été partie prenante dans Fahazavana 2003, et a même signé une convention de partenariat avec la commune rurale d’Analavory qui abrite son antenne régionale pour l’Itasy. Loin, très loin d’Analavory et de ses défis agricoles, Ampanihy est une petite bourgade égarée dans le Deep South, à mi-distance pratiquement de Toliara et de Tolagnaro. Dans presque tous les foyers, le meuble principal est un métier à tisser artisanal car ici on tisse depuis des générations. Car Ampanihy, c’est connu, est le berceau du tapis mohair. Mais le cheptel de chèvres s’amenuise à cause principalement du métissage. Le jour où il n’y aura plus de laine locale à Ampanihy, c’est toute une petite économie qui s’effondrera, entraînant avec elle des pans entiers de la culture de la région. Mais paradoxalement ce risque de crise n’atteindra pas le mohair haut de gamme d’Ampanihy qui, lui, fait venir sa matière première d’Afrique du Sud. Avec ses 70 000 nœuds au mètre carré, il est, dit-on, un sérieux candidat au titre de tapis le plus confortable du monde, plus beau encore que celui de Turquie ou de Colombie. Textes : Tom Andriamanoro Photos : L’Express de Madagascar - AFP
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