Richard Yung - « La France n'a pas de candidat »


L'insécurité, la corruption, les élections ont été les sujets abordés avec le sénateur représentant les Français de l'étranger, élu sous la bannière de la République en marche. En visite à Madagascar, il a été l'invité de la radio RFM hier, et a ensuite répondu aux questions de l'Express de Madagascar. • Vous seriez familier de la Grande île. Pouvez-vous nous dire ce qui vous rapproche de Madagascar ? - C'est d'abord une histoire familiale, puisque j'ai passé l'essentiel de ma jeunesse à Madagascar. J'y ai fait ma scolarité primaire et secondaire, notamment au lycée Galliéni. Et j'ai même fait deux ans à l'Université d'Ankatso qui venait d'ouvrir. Disons que j'ai laissé une partie de mon cœur à Madagascar. • Pouvez-vous nous dire en quelques mots le programme de votre visite à Madagascar ? - J'ai organisé ma visite autour de deux pôles. La communauté française et les activités consulaires, et l'autre volet concerne la vie économique. À chaque fois que je viens ici, je rencontre des chefs d'entreprises français, malgaches ou d'autres nationalités, la chambre de commercre franco-malgache et nous faisons un débriefing sur la situation des entreprises, comment ça marche, quels sont les problèmes qu'elles rencontrent. Cette fois-ci, il y a un troisième aspect que sont les écoles. Je vais participer à l'inauguration d'une nouvelle école française. • Vous aviez aussi rencontré des personnalités politiques malgaches. Qu’en est-il ? - Ce n'était pas l'objet de ma visite, mais j'ai rendu une visite de courtoisie à Rivo Rakotovao, le président du Sénat, en tant que sénateur. Je lui ai fait part des salutations du président du Sénat français. Nous avons eu un assez long entretien sur la vie politique malgache, la préparation des élections, ou encore, les lois électorales qui sont en débat à l'Assemblée nationale, à Tsimbazaza. Nous avons fait un petit tour d'horizon de la situation. • Que pensez-vous de la diminution de la communauté française à Mada­gascar ? - C'est un état de fait qui m'attriste, car comme je l'ai dit, c'est un pays que je porte dans mon cœur, une nation attachante. Les Malgaches sont des gens très amicaux. S'il y a une diminution de la population française, c'est probablement parce que d'abord, la situation économique ne s'améliore pas beaucoup. Les différents indicateurs montrent que Madagascar est plutôt en queue des classements internationaux. Et puis l'insécurité en général, les enlèvements, ainsi que le développement de la corruption rendent difficile de mener des affaires d'une manière normale et sereine. C'est vraiment dommage. Tout ce que l'on peut espérer, c'est que des mesures fortes soient prises pour remettre de l'ordre dans tout cela. Madagascar a tous les atouts sur le plan économique pour devenir un pays riche. • Vous parlez d'insécurité et d'environnement des affaires. Quel regard portez-vous sur l'état de ces deux points dans la Grande île ? - Il y a d'abord le problème de sécurité tout court, qui concerne les personnes et les biens. Il y a un degré élevé de l'insécurité à Madagascar. Ceci touche d'abord les Malgaches, ce n'est pas un problème des Français. Et ça touche ensuite les différentes communautés. C'est un frein pour décider les gens à venir dans la Grande île. Malheu­reusement, l'image du pays est un peu entachée. En France lorsqu'on dit Mada­gascar, les gens pensent insécurité, enlèvement, meurtre. S'y ajoute qu'une des difficultés supplémentaires est que la plupart de ces crimes ne sont pas élucidés. Ça laisse un sentiment d'amertume. On cite souvent la communauté d'origine indienne, mais il n'y a pas qu'elle. • Et concernant la corruption ? - Sur la corruption, c'est un phénomène qui n'est pas particulier à Madagascar. Seulement, ici elle est quand même très généralisée, et elle brouille les affaires. Si on veut investir, faire tourner une entreprise et qu'on a toujours l'appréhension de payer une forte somme pour des raisons non prévisibles, ce n’est pas bon. • Durant votre rencontre avec la Chambre de commerce franco-malgache, quels ont été les principaux soucis soulevés par ses membres ? La corruption, l'insécurité ? - Ce n'est pas tellement la corruption qui a été leur principal souci. Il s'agit plutôt de la dégradation des infrastructures. Le port de Toamasina, la RN2, le réseau ferroviaire qui marche très mal entre Toamasina et Antananarivo, l'énergie avec les problèmes de la Jirama. Des points qui les handicapent beaucoup. Ils n'ont pas tellement parlé de l'insécurité non plus. Ils disent que ça fait partie des risques qu'ils assument. • En tant que parlementaire, pourriez-vous plaider pour plus d'investissements français à Madagascar ?

- Je pourrais et je veux le faire. Mieux faire connaître toutes les possibilités qui existent dans la Grande île. C'est vrai que si l'on était dans un climat un peu plus pacifié, moins de corruption, moins d'insécurité, on pourrait vraiment encourager des jeunes à venir ici et y investir. Il y a tellement de possibilité dans ce pays, comme l'agriculture ou le tourisme. Mon cœur saigne quand je vois que le nombre de touristes à Madagascar n'est que de l'ordre de trois-cent mille personnes par an. Je viens du Cambodge, un petit pays qui accueille cinq millions de touristes par an. Et la Thaïlande trente millions. Vous rendez-vous compte ce que cela apporte à l'économie. Pour pouvoir développer un secteur comme le tourisme, il y a un système à améliorer. Un code d'investissement, les infrastructures, la sécurité, la santé, le transport.

• Vous qui connaissez Madagascar, ne vous sentez-vous pas en sécurité depuis votre arrivée dans le pays ? - Moi c'est différent parce que je séjourne dans un cadre assez protégé. Je ne me promène pas sur l'avenue de l'indépendance à minuit. • Peut-être ne faudrait-il pas réduire Madagascar à l'insécurité et à la corruption ? - Certes, mais ce n'est pas pour cela que j'excuse la corruption, parce que c'est un mauvais élément, un élément négatif pour l'économie. Elle est contraire à l'éthique et la morale. Le fait qu'il y ait une grande, une très grande corruption gêne l'économie et les investisseurs. Je sais qu'il est difficile de lutter contre la corruption. Il y a déjà des organes comme le Bianco [Bureau indépendant anti-corruption] qui travaille, mais le système est encore relativement embryonnaire. Il faudrait faire encore plus. En France par exemple, on s'est doté d'un tas d'outils très contraignants pour lutter contre la corruption, comme le contrôle des comptes bancaires. Nous avons un procureur financier spécialisé qui a beaucoup de pouvoir et très actif. Cela ne veut pas dire qu'on annihilera la corruption en France, mais ça a beaucoup baissé. • Sur un tout autre sujet, quel est votre opinion sur la question des îles éparses ? - C'est un sujet qui revient de temps en temps à Madagascar, car c'est un thème souvent utilisé pour mobiliser les énergies afin de dénoncer les attitudes de la France. Mais franchement, je pense que vous avez des problèmes plus importants que les îles éparses. Je pense que c'est un sujet qui vise à mettre des difficultés dans les relations entre la France et Madagascar de façon inutile. • Une discussion est néanmoins en cours entre les deux pays. Plaideriez-vous devant le Parlement français pour faire avancer les négociations ? - Autant que je sache, la question est soumise à l'une des autorités des Nations Unies qui doit examiner les bases juridiques. Je dirais prudemment qu'il faudrait attendre une prise de position de cet organe onusien. Après, on peut aller en arbitrage auprès des instances de La Haye. Nous l'avions fait pour l'île Tromelin, où il y a eu un litige avec l'île Maurice. Nous avons pu trouver un accord. Nous pouvons aussi trouver un accord de co-souveraineté. • Le dossier des îles éparses gênerait-il dans les relations diplomatiques entre la France et Mada­gascar ? - S'il s'agit d'un sujet mis en avant et porté très haut par la partie malgache, c'est sûr que ça créera une difficulté dans les relations diplomatiques. Mais je ne crois pas que ce soit l'intention du gouvernement malgache, de faire de la question des îles éparses le point central de nos relations. Il faut quand même être raisonnable. Il y a bien d'autres sujets à discuter. • Les élections, par ailleurs, ont été abordées durant votre rencontre avec le président du Sénat. Comment voyez-vous les préparatifs du processus ? - En tant que parlementaire français, je n'ai pas de position particulière à exprimer. Dieu sait que nos relations historiques font qu'il y ait toujours une sensibilité comme quoi la France intervient dans les affaires intérieures de Madagascar et d'autres pays en Afrique. Que ce sont les Français qui nomment en quelque sorte les chefs d'État. Depuis plusieurs années maintenant, je pense que ça a commencé avec le président François Hollande, et ça a été affirmé clairement avec le président Emmanuel Macron, nous avons dit que nous voulions sortir de ces relations-là. Nous n'étions pas le grand faiseur de roi des pays africains. Que les pays africains doivent eux-mêmes, par le processus démocratique, désigner leur dirigeant. Je ne prendrais donc pas position sur les élections présidentielles qui se préparent. Le seul souhait que je peux exprimer est que la Constitution soit respectée. Que le processus se déroule convenablement, démocratiquement. Que les élections soient claires et transparentes. • Vous, sénateur de la République en marche, affirmez donc, que la France sera désormais en retrait vis-à-vis des élections des dirigeants africains, notamment à Madagascar ? - Certainement. Je suis certain que c'est la position du président Macron. Il a commencé son discours à l'université de Ouagadougou, qu'il n'y a pas de politique africaine de la France. Il faut bien comprendre ce que cela veut dire. Ce n'est pas que la France se désintéresse de l'Afrique. Seulement, qu'il n'y a pas une politique spéciale de la France vis-à-vis de l'Afrique. Que les relations diplomatiques avec les pays africains se font dans le cadre de notre politique diplomatique générale. C'est ce qu'il a affirmé, cela devrait s'appliquer ici durant les prochaines élections. • Il n'y a, ou n'y aura donc pas de candidat de la France lors de la prochaine présidentielle ? - De notre part non, mais je crains que certains le diront quand même.

• Votre visite tombe dans une période où les débats parlementaires sont houleux sur les lois électorales. Est-ce voulu, ou une simple coïncidence ? - C'est tout à fait un hasard de calendrier.

Franchement je pense que vous avez des problèmes plus importantes que les îles éparses.

Propos recueilli par Garry Fabrice Ranaivoson
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