Road-building


Dire que la «révolution» de 2009 avait pu dire que «les routes, ça ne se mange pas». Les routes ne se mordent sans doute pas à pleines dents, mais elles acheminent des vivres et évacuent les récoltes ; affectent des médecins et des enseignants ou des gendarmes ; décloisonnent des vallées qui s’ignoraient de part et d’autre d’une montagne ; apportent les idées neuves du vaste monde sans lesquelles le génie endogame réinventerait sans cesse l’eau chaude. Les généraux Duchesne, Metzinger et Voyron avaient parfaitement compris l’intérêt stratégique de la route : de janvier à octobre 1895, le corps expéditionnaire français avait combattu et en même temps accompli un effort de génie militaire pour ouvrir une route carrossable entre Majunga et Antananarivo : dès 1902, le général Gallieni, roulant en automobile Panhard-Levassor, reliera Tananarive et Majunga, en trois jours. Dans une espèce de démarche mortifère à rebours, les souverains Merina ayant toujours refusé de rendre carrossable la piste entre Antananarivo et Toamasina, faisant confiance aux «généraux» Ala (forêt) et Tazo (fièvre) pour la défense du Royaume, notre République contemporaine laisse ses ponts s’effondrer, ses routes nationales dégénérer en pistes saisonnières et ses artères urbaines se piqueter de nids-de-poule ou se carotter de fossés d’autruche. Ministère des Travaux, c’est déjà une forme de pléonasme. En latin, le terme «ministre» signifie «serviteur» et «ministère» n’est étymologiquement qu’un «service» : donc le «Ministère des Travaux» est donc automatiquement, naturellement, au service, au travail. Dès lors, qu’a-t-on besoin de ces panneaux «Miasa ho anao ny Fanjakana» : l’État travaille pour vous ? Le Fanjakana travaille pour son peuple, c’est sa seule et unique vocation. Le soleil n’annonce pas chaque matin qu’il se lève pour l’Humanité. C’est ainsi, et pas autrement, d’une telle évidence, d’une banalité suprême. Comme dit le dicton malgache : «c’est la terre retournée qui témoigne pour le laboureur». Une autre sagesse populaire dit que «c’est en haut du mur qu’on juge le maçon». Il suffirait pour le «Ministère des Travaux» de faire, de faire vite, de faire bien, son job. Que la chaussée défoncée soit prestement décapée et aussitôt bétonnée en bonne et due forme. Comme j’avais pu l’écrire dans une Chronique en malgache : «tsy maninona na tsy hitan’ny olona aza ny soratra hoe “Miasa ho Anao” fa ny tara voasolaitra ihany no vavolombelon’ny BTP» (Mamalan-kira, 17.10.2016). Pourtant, aux 67 hectares, sur la Route circulaire, à Itaosy, partout, les travaux s’éternisent. Le «Fanjakana» a décidé de mener de front d’innombrables chantiers et les usagers n’échappent à une route barrée que pour se retrouver dans le cul-de-sac d’une chaussée béante sur un treillis métallique qui attend sa première coulée de béton. Plutôt que le «Miasa» de jour, pour que les gesticulations soient bien visibles, j’aurais préféré l’écriteau «Miala Tsiny amin’ny Fanelingelenana» (Excuses pour la gêne occasionnée), même si les travaux de nuit ne sont pas bien spectaculaires. Dans ces conditions de «moramora» exaspérant, «Miasa ho anao ny Fanjakana» constitue d’autant moins un exploit qu’en 1948, pour sauver Jérusalem de la famine, les Juifs durent creuser une route de contournement loin de la colline de Latroun, tenue par les Arabes. Cette route, surnommée «Route de Birmanie», longue de 14 kilomètres, sera construite du 5 au 19 juin. Pour la petite histoire, la vraie «Route de Birmanie» date de la seconde Guerre mondiale : construite par les Britanniques à travers la jungle de la Birmanie vers le Sud-Ouest de la Chine, elle contournait le blocus japonais et avait permis de ravitailler le Kuomintang. Pour le coup, la route de Birmanie valut sa ration de munitions et de soupes lyophilisées... Par Nasolo-Valiavo Andriamihaja
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