Mon ami Pierrot (Men)


«L’approche photographique de Pierrot Men tient à la fois du reportage documentaire et d’une démarche d’auteur. Elle sait nous faire ressentir toute la dignité dont sont habités les sujets photographiés. Ses images extrêmement composées par la structuration des plans, l’importance de la ligne de fuite...». J’emprunte d’autant plus facilement ces mots que je n’y comprends pour ainsi dire rien. Mais, ils sont exposés au même titre que les tirages de Pierrot Men dans la galerie à ses photos dédiée, à Tana Water Front Ambodivona. Mission impossible. Quoi donc ? Écrire comme Pierrot Men photographie. Raconter laborieusement avec des mots ce que le clic de «l’instant décisif» cisèle avec le rendu plus-que-vrai d’une réalité qui s’étonne elle-même d’être ainsi sublimée. Cette banale flaque d’eau après la pluie qui se découvre miroir d’une réalité inversée : Haut, Bas, Fragile de la fragilité d’un moment fugace. La seconde cependant d’un moment d’éternité. «La ligne de fuite», le photographe s’y astreint-il comme à une formule impérative ou n’est-ce pas la géniale composition de tant et tant d’artistes qui a inventé «la ligne de fuite», pour ainsi dire sans le faire exprès ? Comme pour le vin, les mots ampoulés sont survenus bien plus tard, tellement empruntés que les premiers inventeurs du vin n’y auraient rien compris. Je suis plus à l’aise avec la suite : «Ce sont de petits riens de la vie, des interstices du quotidien, abordés avec une grande discrétion, qui composent un travail qui réveille notre capacité à l’émerveillement». Petits riens, interstices, discrétion, émerveillement... Voilà des mots qui me parlent, parce qu’ils sentent le vécu. Non seulement, ils sentent le vécu : ils sont le vécu. Ma capacité d’émerveillement, c’est d’abord une anticipation : «Quoi, une galerie Pierrot Men, et je n’en savais rien !». Bien sûr, ils n’ont ouvert que depuis six mois, mais dans une Ville sans cinéma ni bibliothèque, ce devait être un petit événement, dont pourtant j’ignorais tout !Vite, rattraper sans plus attendre ce temps perdu... C’est que, oui, on admire d’autant mieux l’oeuvre de Pierrot Men qu’on la connaît déjà. Le plus remarquable n’est pas tant dans l’éveil de notre capacité d’émerveillement, que dans le pouvoir de renouveler indéfiniment ce plaisir pavlovien. Cette photo des palais du Vieux Antananarivo, dans le foulard vaporeux d’un nuage de brume, on dirait quelque déjà vu, mais personne n’oserait dire que le Maître se copie-colle lui-même. De fait, le vieux plaisir d’une précédente fois, dont soi-même n’est plus tout à fait sûr, laisse vite place au jeune sourire de l’instant présent. Et on imagine le Making Of. Non, ce n’est pas possible de se mettre à l’affût d’un phénomène tout à fait aléatoire. L’instant décisif, c’est une sensibilité, une perméabilité, une innocence. Une âme d’enfant derrière le regard du sexagénaire. Quelque chose de la vierge chez l’odalisque rompue à toutes les ruses des caresses. L’étonnement à encore s’étonner. L’attente d’un petit rien de nouveau, la quête d’une surprise. N’est-ce pas ainsi qu’on continue d’écouter les mêmes mots du discours sans cesse renouvelé de la séduction ? Ne pas céder à la blasitude, c’est donc tout un talent. Par Nasolo-Valiavo Andriamihaja
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